«El harka», l'amertume...
Ils étaient partis, samedi, de l'île des couchers de soleil mirifiques Kerkennah en quête d'un meilleur avenir. Dans une embarcation de fortune, ils se sont tassés très nombreux comme dans une boîte de sardines pour tenter de rejoindre l'autre rive de la Méditerranée, là où l'herbe serait plus verte, du moins d'après leurs cousins et amis qui y vivent depuis des années. Leurs proches qu'ils ne reverront plus jamais car leur embarcation de fortune s'est renversée en pleine mer, les livrant, impuissants, aux vagues rageuses de la Méditerranée. Encore un drame, un énième, qui ne semble déranger personne ou presque...
Samedi soir, une embarcation transportant des migrants se rendant illégalement en Italie, s'est renversée au large de l’île de Kerkennah. Peu ont survécu. Selon la Fédération Tunisienne des Droits Economiques et Sociaux (FTDES), ils ne seraient que 68 individus à avoir pu être sauvés. Selon le premier bilan, le nombre de décès avérés s'élève à 48. Les corps ont été transférés à l'hôpital pour autopsie. Le nombre de cadavres non encore repêchés avoisinerait la centaine. Un drame au vrai sens du mot qui ne peut laisser indifférent. D'ailleurs comment rester impassible devant la souffrance et la détresse des proches des défunts qui n'en reviennent toujours pas d'avoir perdu un fils, un frère, un cousin, un ami. Parmi eux, des parents ont économisé durant des mois et se sont privés de tout pour pouvoir amasser la somme nécessaire pour le « voyage » de leur enfant. Des risques et des dangers, ils en étaient tous conscients mais on dit que la fin justifie les moyens, la faim aussi. Car ce n'est certainement pas de gaieté de coeur que ces jeunes migrants ont dit adieu à leurs familles, laissant derrière eux leur maison, leur quartier, leur ville et leur pays. Ce pays qui n'aurait plus rien à donner à ses jeunes, d'après les très nombreux témoignages de jeunes ayant tenté ou désireux de le quitter par tous les moyens, même de façon clandestine.
D'ailleurs, ce pays n'a pas semblé s'émouvoir tant que ça de leur mort. Ce n'est toutefois pas étonnant puisqu'en 2012 et alors qu'un
pareil drame était survenu à proximité de l'île italienne de Lampedusa, coûtant la vie à plus d'une cinquantaine de Tunisiens, certains hauts responsables de l'époque dont le ministre des Affaires Etrangères assistaient, impassibles, à un mariage collectif... Le naufrage de samedi a certes été relayé par les médias et a fait partie des deux grands sujets évoqués lors de la réunion sécuritaire périodique entre le président du gouvernement Youssef Chahed et nombre de ses ministres mais aucun haut responsable n'est apparu à la télévision pour traiter de la question.
« Laisser derrière soi un pays qui n’a pas su vendre du rêve à ses enfants, une élite qui ne sait même pas dissimuler son mépris, son dédain, quand elle s’adresse aux sous-classes de la République. Quitter les cieux faussement bleus, vers la grisaille salutaire, pour le bleu des yeux et les mèches génétiquement blondes. Echanger le froid dans l’âme contre le froid Celsius. » Ainsi écrivait Abdessmad Cabet dans son article « Fuir le pays comme la peste ». Tel est le véritable drame des jeunes en Tunisie, du moins une bonne partie d'entre eux. C'est ce sentiment de n'avoir aucun avenir dans un pays dirigé par une élite déconnectée de leur réalité, totalement méprisante vis à vis de leurs besoins et de leurs attentes qui les pousse à se jeter dans la mer pour tenter de trouver mieux, de vivre mieux. Au fond d'eux, ils savaient qu'ils peuvent mourir en pleine mer et que l'europe n'est pas le paradis tel que décrit par les passeurs clandestins mais ils foncent tête baissée pour imiter leurs amis et leurs proches, car d'après leurs propres mots, ils n'ont, de toute façon, « rien à perdre ».