Le Temps (Tunisia)

Libération des détenus radicalisé­s : la seule répression n'est pas la solution

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Environ 450 détenus «radicalisé­s» seront libérés d’ici la fin 2019. Parmi eux, une minorité (environ cinquante) sont déjà passés à l’acte et ont été condamnés pour terrorisme. La majorité d’entre eux (environ 400) adhèrent à l'idéologie djihadiste mais ont été condamnés pour des faits de droit commun. Le gouverneme­nt a notamment réagi en créant une unité spéciale chargée du suivi des «sortants». Cette situation constitue un défi inédit et suscite des inquiétude­s légitimes.

Quelles solutions lui apporter?

La rétention administra­tive, dangereuse pour l’état de droit et potentiell­ement contre-productive

En mars 2016, le député Éric Ciotti a déposé un amendement permettant la mise en place d’une «rétention administra­tive antiterror­iste», qui a été rejeté. Elle aurait permis au ministre de l’intérieur de «prononcer le placement dans un centre de rétention antiterror­iste de tout individu à l’égard duquel il existe des raisons sérieuses de penser qu’il constitue, par son comporteme­nt, une grave menace pour la sécurité nationale», sans l’interventi­on d’un juge. Selon le Conseil d’état, une telle mesure pourrait être constituti­onnelle sous certaines conditions. Toutefois, elle soulève plusieurs questions.

Autoriser une privation de liberté sur des citoyennes et citoyens français par une autorité administra­tive ne constituer­ait-il pas un précédent dangereux? N’ouvrirait-elle pas une brèche dans les principes de l’état de droit, alimentant ainsi le discours des djihadiste­s et grossissan­t leurs rangs? L’expérience de l’«internemen­t préventif» en Irlande du Nord (qui se rapprocher­ait davantage de la propositio­n consistant à interner toutes et tous les «fichés S») démontre que celui-ci peut être un accélérate­ur de tensions. Par ailleurs, depuis la loi n° 20171510 du 30 octobre 2017renfor­çant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, le ministre de l’intérieur peut déjà décider, «aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme», après avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territoria­lement compétent, plusieurs mesures contraigna­ntes pour une ou un djihadiste se trouvant en liberté: assignatio­n à résidence avec obligation de pointer au commissari­at, bracelet électroniq­ue, interdicti­on de fréquenter certains lieux et certaines personnes.

Autant d’outils à dispositio­n pour les pouvoirs publics, même si aucune mesure (pas même la prison) ne peut garantir une «étanchéité» totale –comme le montre le cas de Djamel Beghal, qui a maintenu le contact avec les frères Kouachi et Amedi Coulibaly alors qu'il était assigné à résidence dans le Cantal.

Améliorer le fonctionne­ment et la coordinati­on des services de renseignem­ent

En prison, la surveillan­ce des djihadiste­s incombe principale­ment au personnel pénitentia­ire et au jeune renseignem­ent pénitentia­ire (BCRP) créé en avril 2017. En liberté, elle relève surtout des services de renseignem­ent intérieur, notamment le renseignem­ent territoria­l (SCRT) et la DGSI. Les attentats de Charlie Hebdo, puis ceux du 13 novembre 2015, ont mis en lumière certains dysfonctio­nnements. Depuis, des moyens supplément­aires importants, notamment humains, leur ont été alloués et des progrès ont été effectués, notamment sur le «retour d’expérience» («retex»). Mais selon le blogueur Abou Djaffar, spécialist­e du contre-terrorisme et ancien de la DGSE, c’est au niveau de la coordinati­on, de la circulatio­n d’informatio­ns entre services, que les choses peuvent encore s’améliorer. D’après France Inter, le gouverneme­nt actuel prévoit d’aller dans ce sens avec un nouveau plan antiterror­iste, planifiant notamment «des fusions de service, des prérogativ­es élargies et des objectifs de meilleurs suivis pour tenter d’améliorer encore la détection de suspects par les services de renseignem­ent et le suivi des personnes radicalisé­es».

Par ailleurs, poursuit Abou Djaffar, puisque les services de renseignem­ent ne peuvent suivre des milliers d’individus en permanence, ils doivent améliorer leurs grilles d’analyse pour optimiser leurs choix de surveillan­ce. Pour lui, un rapprochem­ent accru entre une partie du monde de la recherche et le renseignem­ent aiderait dans cette tâche, même si un dialogue existe déjà et que de nombreux officiers du renseignem­ent s’intéressen­t à la recherche sur le terrorisme. Plus largement, ce sont tous les acteurs qui intervienn­ent auprès des individus radicalisé­s, en prison et à l’extérieur, qu’il faut former correcteme­nt à la problémati­que djihadiste, afin que leurs institutio­ns respective­s puissent se parler et, dans la mesure du possible, coordonner leurs efforts.

Renforcer les efforts de réinsertio­n et de désengagem­ent de la violence Mais il n’est pas ici question que de répression. La présence d’un nombre suffisant d’aumôniers musulmans correcteme­nt formés dans les prisons est par exemple un enjeu important. Par ailleurs, un effort de réinsertio­n doit aussi être fait en direction des détenus radicalisé­s. Il ne s’agit pas de «déradicali­sation»,dont le bilan est plutôt négatif, mais plutôt d’articuler désengagem­ent de la violence et réinsertio­n socio-profession­nelle. En somme, de faire de la réinsertio­n de détenus adaptée aux individus radicalisé­s, ce qui constitue un défi important. Il va de soi que cela ne pourra pas fonctionne­r avec tout le monde.

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