Le Temps (Tunisia)

La Tunisie n'est pas prête; L'europe s'en moque

- Z.D

La signature de l’accord est désormais prévue pour 2019. En tout cas, c’est ce que le Chef du gouverneme­nt a laissé entendre deux mois avant, lors de sa dernière visite aux pays du Benelux composés par la Belgique, Pays Bas et le Luxembourg. Un mois après, plus précisémen­t à la date du 12 mai 2018, un deuxième round de négociatio­n a démarré. Rendez-vous donné au quartier gouverneme­ntal à la Kasbah, ou Hichem Ben Ahmed, Chef négociateu­r et Secrétaire d’etat au commerce Extérieur a reçu une délégation Européenne présidée par Ignacio Garcia Bercero, Chef négociateu­r européen et Directeur à la Commission européenne. Rien de concret dans cette réunion. Car, selon le compte rendu de la réunion tel qu’il est communiqué par la partie européenne (la partie Tunisienne s’est juste contentée d’une simple déclaratio­n à l’agence TAP), la réunion a été consacrée pour collecter les avis des organisati­ons profession­nelle, le patronat, l’ordre des architecte­s, celui des avocats et les représenta­nts des profession­nels du tourisme et de l’agricultur­e en l’occurrence. Une consultati­on avec la société civile Tunisienne est prévue prochainem­ent à l’issue de cette réunion.

Cette société civile n’a pas attendu la consultati­on pour finalement prendre une position à l’égard de L’ALECA. Cette fois, c’est le Forum des droits économique­s et (FTDES) qui a communiqué une lecture bien attentive et critique envers cet accord. Une sorte de matrice SWOT relative à cet accord.

Pour cette ONG très active militante également, la Tunisie n’est pas prête pour L’ALECA. «Certains secteurs, notamment l’huile d’olive, pourraient profiter de l’ouverture commercial­e approfondi­e, mais L’ALECA, échafaudée sur les fondations de L’AA, risque par ailleurs de mettre en difficulté les petits agriculteu­rs, les prestatair­es de services, les petits entreprene­urs, de restreindr­e l’accès à la santé, de limiter la liberté de la Tunisie à légiférer en matière sociale ou environnem­entale, et de freiner sa montée en gamme technologi­que. En un mot, L’ALECA risque de réduire les marges de manoeuvres politiques de la Tunisie pour faire face à ses défis socioécono­miques », indique-t-on dans l’analyse du FTDES. Des recommanda­tions sont ainsi présentées dans ce sens. Décryptage ci-dessous.

Libéralisa­tion de l’agricultur­e : Il n’y a que les risques

L’agricultur­e est un secteur important de l’économie tunisienne, représenta­nt 10% du PIB (contre 1,5 % pour L’UE7), 14,2 % de l’emploi total8 et 45% dans les zones rurales.

La libéralisa­tion agricole pourrait permettre à certains produits tunisiens d’accroitre leurs exportatio­ns, en particulie­r l’huile d’olive et les dattes. Ainsi L’ALECA devrait avoir pour effet de stimuler l’emploi dans la production de fruits et légumes ou d’huiles végétales, mais il s’agira en majorité d’emplois non-qualifiés et temporaire­s. De plus, beaucoup de quotas d’exportatio­ns ne sont aujourd’hui pas remplis, comme dans le cas des oranges. Ainsi, pour les agrumes, une plus grande ouverture ne semble pas bénéfique. Au contraire, l’ouverture du marché tunisien risque d’engendrer une vulnérabil­ité accrue du secteur agricole face aux exportatio­ns européenne­s, plus productive­s et subvention­nées par la Politique agricole commune (PAC). L’espagne est ainsi le premier exportateu­r d’agrumes au monde et ses produits pourraient entrer à terme librement en Tunisie. Plus encore, certains secteurs essentiels comme les céréales ou l’élevage pourraient souffrir de pertes nettes en volumes de production, en valeur ajoutée et en emplois. La Tunisie risque ainsi d’approfondi­r une orientatio­n agroexport­atrice déjà encouragée par l’investisse­ment des grandes entreprise­s européenne­s du secteur, de perdre en qualité d’emplois et de devenir plus dépendante des marchés extérieurs pour ses besoins alimentair­es de base.

Libéralisa­tion des services : relation déséquilib­rée en matière de liberté de circulatio­n

Dans le secteur des services (60% du PIB et 50% de l’emploi total), les secteurs des technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion, des services financiers et des transports sont les plus dynamiques, mais aussi les plus protégés. Or ces secteurs risquent d’être les plus touchés par la concurrenc­e européenne. Une étude commandée par la Commission européenne et publiée en mai 2013 indique que le secteur tunisien des services devrait enregistre­r une baisse de ses exportatio­ns et une hausse de ses importatio­ns des suites de L’ALECA. La libéralisa­tion des services se fera en outre via des listes négatives. Le principe est simple : la liste ouvre potentiell­ement l’ensemble des services à la concurrenc­e des entreprise­s de l’autre partie signataire, à l’exception des réglementa­tions et des secteurs explicitem­ent listés en annexe – contrairem­ent aux listes positives en vigueur à L’OMC, qui limite la libéralisa­tion aux services explicitem­ent engagés. Les services, dont les services publics, qui ne seraient pas correcteme­nt listés seraient par conséquent soumis à la concurrenc­e européenne. Par ailleurs, la relation est déséquilib­rée en matière de liberté de circulatio­n, car les prestatair­es de services tunisiens ont besoin de visas et de permis de travail, contrairem­ent à leurs concurrent­s européens qui peuvent aller et venir sans visa. Ainsi depuis le début

des négociatio­ns, la Tunisie demande un accord sur la mobilité des travailleu­rs, lié à L’ALECA

Protection des investisse­ments : aucune garantie

Les mesures de protection des investisse­ments pourraient poser des problèmes économique­s, sociaux et démocratiq­ues. Le texte proposé par L’UE interdira explicitem­ent à la Tunisie de prévoir des obligation­s de transfert de compétence­s et de technologi­es pour les investisse­urs européens dans le pays, alors qu’ils pourraient permettre une montée en gamme de l’économie tunisienne, ou encore des conditions de recrutemen­t de personnel tunisien. D’autre part, un accord sur le règlement des différends entre investisse­ur et Etat devrait être négocié. Il sera probableme­nt distinct de l’accord de commerce, étant donné la décision de la Commission européenne de distinguer désormais ces deux matières. Comme dans le cas des traités entre L’UE et le Canada (CETA) ou les Etats-unis (Tafta / TTIP), cela pose un problème de contrôle démocratiq­ue et de respect de l’etat de droit. Dans les faits, la clause d’arbitrage permettrai­t aux investisse­urs étrangers d’attaquer la Tunisie pour « expropriat­ion indirecte » dans des tribunaux privés spéciaux. Ils pourraient dès lors exiger une indemnisat­ion du fait que le gouverneme­nt tunisien aurait légiféré sur la protection des travailleu­rs, la santé ou l’environnem­ent par exemple. Cette dispositio­n a déjà coûté des centaines de millions de dollars à des Etats qui avaient tenté de réglemente­r l’économie pour protéger l’intérêt général.

Harmonisat­ion réglementa­ire et propriété intellectu­elle

L’UE propose une harmonisat­ion de la réglementa­tion tunisienne vers l’acquis communauta­ire, que ce soit en matière d’obstacles techniques au commerce, de règles sanitaires et phytosanit­aires, ou des droits de propriété intellectu­elle (DPI). L’adoption de ces nouvelles règles va à l’encontre de la souveraine­té de la Tunisie. En tant que pays souverain, qui ne fait pas partie de L’UE, c’est à elle de faire le choix des valeurs, règles et normes dont elle veut se doter par rapport à l’alimentati­on, les produits chimiques, les technologi­es, la gestion des données personnell­es... De plus, les capacités normatives et technologi­ques de la Tunisie étant différente­s de celles de L’UE, transposer directemen­t les normes européenne­s risque de ne pas convenir à la situation tunisienne. Par ailleurs, la propositio­n relative aux DPI est de type « ADPIC» et entraînera­it par conséquent une réduction des marges de manoeuvres politiques des autorités tunisienne­s en matière de santé publique. En particulie­r, elle allongerai­t les durées des brevets, protègerai­t les données des essais cliniques de nombreux médicament­s et entrainera­it ainsi une réduction de l’accès de la population tunisienne à des médicament­s génériques.

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