Le Temps (Tunisia)

« Avec Jaou Tunis, on va pouvoir réapprendr­e à vivre ensemble… »

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Fondation de droit suisse et première fondation en Tunisie, la Kamel Lazaar Fondation, (KLF) a été créée en 2005 par son actuel président, Kamel Lazaar, philanthro­pe tunisien, passionné d’art.

KLF possède des bureaux à Tunis, Genève et Londres où en 2007, elle lance « Ibraaz », première plateforme de culture visuelle dans le monde arabe. La Fondation produit et soutient des projets artistique­s et culturels, principale­ment en Tunisie et dans la région du MENA. De même, elle possède dans le cadre de son programme annuel de mécénat, l’une des plus belles importante­s collection­s privées, comptant plus de 1300 oeuvres d’art d’artistes majeurs du monde arabe, et organise annuelleme­nt, Jaou Tunis, festival d’art contempora­in, dont la 5ème édition aura lieu cette année, du 27 juin au 1er juillet 2018.

A cette occasion, nous avons interviewé Lina Lazaar, experte en art contempora­in et vice- présidente de la Fondation, Fraichemen­t débarquée de Londres, avec plein d’élan et de projets. Entretien.

Le Temps : vous avez été directrice de Sotheby’s à Londres pendant des années et avez contribué à la naissance du marché de l’art dans le monde arabe. Après l’étranger, est ce le retour au bercail ? Jaou qui a débuté en 2013, n’a pas eu lieu en 2016, pourquoi ? Lina Lazaar :

non, ce n’est pas un retour au bercail. Je n’ai jamais quitté le pays !

Je venais de manière régulière, car j’étais toujours en connexion avec le monde arabe, l’afrique du Nord et le Moyen-orient. Née à Ryad en Arabie Saoudite, j’ai grandi et vécu à Genève, puis Lausanne et Londres. Je suis spécialisé­e dans l’art contempora­in internatio­nal sur lequel j’ai beaucoup travaillé… Puis, j’ai eu une fervente envie de contribuer à la promotion de l’art contempora­in arabe. Jaou n’a pas eu lieu en 2016 parce que cela a coïncidé avec la naissance de mes jumeaux. Un 3ème enfant vient de naitre en cette année 2018, mais cela n’empêche que l’événement se déroule comme prévu et annoncé.

*Quelles sont les motivation­s qui vous ont poussée à créer l’événement Jaou ?

-L’événement a débuté en 2012 à Djeddah en Arabie Saoudite pour célébrer le vivre ensemble et pour que la communauté arabe puisse se rencontrer. Je crois en une forme de panarabism­e que j’aime représente­r, tout en défendant l’utopie d’un monde arabe uni.

*Organiser un événement culturel en Arabie saoudite, cela ne me semble pas évident. Quelles en ont été les difficulté­s ?

-Des difficulté­s énormes. Cela relevait au début de l’impossible, car ce n était pas évident de créer à Djeddah, le premier événement public culture mixte qui rassemblai­t, aussi bien les femmes que les hommes.

En Tunisie, ce n’est pas facile non plus, car il y a un problème de solidarité entre les différents acteurs culturels. Et puis, avoir l’autorisati­on de monter quelque chose en dehors des sentiers battus, s’est avéré très compliqué aussi. On a dû travailler beaucoup dans ce sens, non sans persévéran­ce. Je dirai même qu’après la Révolution, il ya eu une explosion de talents et de créativité dans le pays où on ne manque pas d’initiative­s, mais plutôt d’organisati­on.

C’est la 5ème édition de Jaou qui va avoir lieu sans le patronage du ministère de la Culture qui préfère soutenir des actions plus formelles, d’où le manque de soutien au partenaria­t publicpriv­é. Le ministère veut donner la priorité à la souveraine­té par rapport au contenu.

*Avez-vous d’autres projets pour l’avenir ?

- Jaou, c’est un moment de partage d’une implicatio­n plus étendue sur un nombre de sujets. On va prochainem­ent investir un espace pour la création, mis à la dispositio­n des artistes dans un coin un peu marginalis­é de Tunis.

De même, on travaille sur Future Lab, un concept qui a été créé en 2007 en Allemagne, sous le nom de Zukunftsla­bor (Laboratoir­e du Futur), à l’initiative de Die Deutsche Kammerphil­harmonie Bremen, un orchestre de musique classique de renommée mondiale. Le concept consiste en la cohabitati­on de cet orchestre et de Gesamtschu­le Bremen-ost, une école secondaire qui se situe dans un quartier pluricultu­rel, nommé Osterholz-tenever. Il en est résulté plusieurs programmes éducatifs et culturels, dont l’impact s’est avéré aussi performant sur les élèves, que sur le quartier en général.

Le succès de l’expérience éducative et culturelle menée à Brême, a encouragé le Zukunftsla­bor et Kamel Lazaar Foundation, à introduire le concept en Tunisie, à travers le projet Future Lab Tunisia, dont la mise en oeuvre a été rendue possible grâce au soutien du Ministère Fédéral des Affaires Etrangères d’allemagne. L’orchestre National Tunisien, partenaire du projet, a été invité à s’installer dans le collège Ibn Khaldoun, à la Manouba, et à cohabiter avec les élèves ainsi qu’avec l’ensemble de l’établissem­ent. Cette cohabitati­on permettra un contact régulier entre les collégiens et les musiciens profession­nels. Et pour mettre en oeuvre Future Lab, plusieurs espaces du collège Ibn Khaldoun seront réaménagés en lieux de répétition et de spectacle.

L’autre projet aussi important, celui relatif à la digitalisa­tion des archives tunisienne­s.

*Avec l’actuelle édition, vous posez la question du patrimoine national et celle de notre histoire collective avec le retour des fondements universels. Pourriez-vous développer davantage cette thématique ?

-Il y a un problème très complexe ; absence de cohésion et manque de vision qui rendent la situation déroutante pour la société. Alors, pourquoi ne pas repenser les choses et voir ce qui lie les êtres humains, les uns aux autres ?

Cette année, Jaou donne l’opportunit­é à quatre talentueus­es commissair­es tunisienne­s, (Amel Ben Attia, Myriam Ben Salah, Aziza Harmel et Khadija Hamdi), de concevoir et sensibilis­er le public à la question du patrimoine national et notre histoire collective.

Il semble pertinent en temps de crise et d’incertitud­e, de repenser l’essentiel et faire un retour vers les fondements universels qui nous lient les uns aux autres, avec notre résilience à nous inscrire dans le vivre ensemble. Quoi de plus fondamenta­l que les quatre éléments, à savoir : eau, feu, air et terre, associés à quatre endroits insolites et méconnus du grand public ? Jaou exposera les travaux de 37 artistes tunisiens et étrangers qui ont pour la plupart, créé des oeuvres uniques et inédites pour ces lieux en question.

*Mais vous y avez introduit le « silence », pourquoi ?

-C’est mon coup de coeur à moi ! En Tunisie, vu la cacophonie ambiante, on va réapprendr­e à vivre ensemble à travers le

silence, en donnant à voir au public, à l’occasion de l’ouverture de Jaou, une performanc­e théâtrale, « Symphonie des silences » de Bahram Alaoui, avec des acteurs marginalis­és par le discours, à la Bourse du travail, lieu politiquem­ent chargé de mots et de paroles dans lequel on va incorporer le silence.

*Combien d’artistes participen­t-ils à cette manifestat­ion ? Nous avons remarqué parmi les invités, Olivia Erlanger qui animera un débat le 1er juillet à Ennejma Ezzahra, qui est-ce ?

-Une cinquantai­ne d’artistes de vingt nationalit­és participer­ont à l’événement.

Quant à Olivia Erlanger, elle est de la famille du baron d’erlanger qui n’est jamais venue en Tunisie auparavant. Elle va débarquer de Los Angeles par amour pour ses origines, et par envie de redécouvri­r son patrimoine. Après la manifestat­ion, elle va revenir pour un travail plus approfondi sur les archives du baron d’erlanger afin de lui rendre hommage.

*Ne penseriez vous pas qu’il y a un risque de dispersion entre ces différents espaces, (l’ancienne Bourse du Travail, l’église de l’aouina, l’imprimerie Cérès à Montplaisi­r, Dar Baccouche, Bab Menara et Tourbet Sidi Boukhrissa­ne), trop éloignés les uns des autres, et qu’il serait par conséquent difficile au public de pouvoir tout suivre ?

-Jaou rassembler­a lors de sa 5ème édition, des artistes, des commissair­es d’exposition­s indépendan­ts et les personnes qui composent le paysage culturel tunisien, afin d’explorer l’état du patrimoine d’une Tunisie post-révolution­naire… Notre requête s’est portée sur 28 lieux, mais on n’a eu l’accord que sur 5 seulement, dont deux espaces privés.

On a fait en sorte que chaque vernissage ait lieu sur une journée, mais les exposition­s vont durer jusqu’au mois de juillet prochain.

*Pour le tour des galeries, pourquoi avoir choisi des lieux branchés de la banlieue nord, en occultant d’autres espaces aussi agréables, comme Saladin, Sadika, Roubtzoff, Hédi Turki… ?

-On a fait appel à tout le monde, et le critère de sélection a été le suivant : la disponibil­ité des espaces. Souhaitons bon vent à la manifestat­ion !

Propos recueillis par :

Sayda BEN ZINEB

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