Défier Erdogan
La démocratie est-elle soluble dans l’intimidation ? C’est la question qui pèse sur les élections qui se tiennent dimanche en Turquie, des élections à l’issue desquelles le « sultan » Recep Tayyip Erdogan verra ses pouvoirs renforcés s’il l’emporte, rapprochant un peu plus le pays d’une dictature déguisée en décision électorale. Erdogan n’a épargné aucun effort depuis le putsch raté de juillet 2016 pour démolir l’opposition. En campagne, il a fait en sorte que, par répression de la presse critique, presque tous les médias diffusent son seul message, ne laissant pour tribune à l’opposition que les rassemblements en plein air. En parallèle, les centaines de milliers de ménages pauvres dépendant de l’aide sociale ont été prévenus par des représentants de L’AKP (le Parti de la justice et du développement) qu’il serait mal venu de participer à d’autres réunions que celles organisées par le pouvoir. Dans le Sud-est, le musellement féroce du mouvement kurde — son candidat à la présidence Selahattin Demirtas fait campagne depuis une cellule de prison — risque d’avoir sérieusement entamé son poids politique. Et pourtant. Usé par 15 ans de pouvoir, le président voit son étoile pâlir. Pas sûr que soit gagné son pari de déclencher des élections hâtives. D’abord, sa popularité fléchit parce que les signes de détraquement économique se multiplient. Bien que la croissance du PIB demeure importante, l’économie nationale trébuche : chute radicale de la monnaie, inflation au-dessus de 10 %, fuite des investisseurs… Bref, perte de confiance généralisée et, donc, très mauvaise nouvelle pour ce président islamo-conservateur dont la marque de commerce est la croissance et la stabilité économiques depuis son arrivée au pouvoir.
Ensuite, son pari n’est pas gagné parce que, pour la première fois, plusieurs partis d’opposition sont parvenus à s’unir, malgré les obstacles et leurs différends, et que le combatif candidat du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), Muharrem Ince, a le vent en poupe. Non pas qu’il faille absolument s’en surprendre : après tout, c’est de justesse (51,41 %) qu’erdogan a remporté, en avril 2016, le référendum constitutionnel visant à le doter de superpouvoirs. Preuve que la mainmise politique à laquelle il se livre sur fond d’islamisation heurte de larges pans de la société turque. Ce désaccord trouve maintenant à se cristalliser autour du candidat du CHP, ce vieux parti laïque — aux racines autoritaires ! — fondé par Atatürk en 1923.
C’est dire qu’erdogan ne devrait pas pouvoir l’emporter dès le premier tour. Le second aura lieu le 8 juillet. Alors, tout pourrait arriver.