En rire ? Plutôt en pleurer!
Plaisanterie de mauvais goût en direct à l’antenne
Rouaa Brini est une jeune bachelière qui n’a pas démérité tout au long de sa scolarité et qui a eu le mérite de décrocher son baccalauréat, section sciences expérimentales, avec une excellente moyenne, soit 19,53.
Rouaa Brini est une jeune bachelière qui n’a pas démérité tout au long de sa scolarité et qui a eu le mérite de décrocher son baccalauréat, section sciences expérimentales, avec une excellente moyenne, soit 19,53. Naoufel Ouertani est un homme des médias qui n’a, lui aussi, pas démérité, pour servir à ses auditeurs un produit journalistique de piètre qualité, reposant sur le “bad buzz” et l’humour à deux balles. Lundi, une brève conversation téléphonique a réuni les deux concernés. Un triste moment de radio.
Il est presque 8h quand le téléphone sonne dans la maison de Rouaa Brini, jeune Gabesienne, classée première à l’échelle nationale dans sa filière. On décroche et l’homme au bout du fil se présente en tant que directeur des examens au ministère de l’education. Il demande à parler à Rouaa. Prenant l’appel à son tour, la jeune fille reçoit le choc de sa vie en apprenant qu’il y a eu erreur dans ses notes et qu’en réalité, sa moyenne n’est que de 16,53.
A ces mots, Rouaa entre dans une phase hystérique et peine à croire son interlocuteur. Elle panique, ses parents aussi. Son père s’emporte et demande plus d’explications. La jeune fille est en pleurs et explique qu’elle n’a jamais eu une telle moyenne de toute sa scolarité. Sa mère prend le combiné. La tension est à son comble. C’est alors que le pseudo responsable au sein du ministère de l’education explique qu’il s’agit là d’un canular destiné à faire une surprise à Rouaa et à faire rire les auditeurs, ce à quoi la mère de la jeune fille rétorque sévèrement : on ne badine pas avec ce genre de sujets.
Par là, cette maman qui n’a pas tari d’efforts pour instruire sa fille, qui vient de vivre l’angoisse du baccalauréat et qui a eu l’immense joie de découvrir que Rouaa se classait parmi les meilleurs à l’échelle nationale, voulait certainement dire qu’on ne badine pas avec l’avenir de sa fille. On n’usurpe pas l’identité d’autrui pour amuser la galerie au dépends des sentiments d’autrui. On ne massacre pas, en direct, les rêves d’une brillante bachelière pour faire rire les auditeurs. Ces secondes ont certainement dû sembler une éternité pour cette famille. Tout ça pourquoi ? Pour lui annoncer au final qu’elle remportait 500 DT... Cet animateur et sa bande de joyeux lurons pensaient-ils vraiment que la jeune fille allait les rappeler par la suite pour les remercier de leur générosité ? Pensaient-ils vraiment que pour cette brillante élève, trois points de différence dans sa moyenne allaient la laisser de marbre ? Pensaient-ils vraiment que sa famille allait la jeter en pâture à un pseudo responsable lui annonçant que sa moyenne est erronée et que ses rêves allaient être déchus ?
Pire encore, alors que la mère de Rouaa avait raccroché, l’une des chroniqueuses, a fait part de son étonnement du comportement de la jeune fille et de sa famille, en ces termes : « Pourquoi est-ce qu’elle pleure ? Avoir 16 de moyenne, ce n’est pas assez ? ». Oui, ce n’est pas assez pour ceux qui bûchent depuis des années pour viser l’excellence. Ce n’est pas assez pour ceux qui aspirent à continuer leurs études dans les meilleurs établissements universitaires et briguent les plus hauts postes à l’avenir. Ce n’est pas assez pour ceux qui font de leur avenir une priorité et ce n’est pas certainement drôle de leur donner de telles grosses frayeurs en plaisantant justement de leur avenir.
Décidément, le rire se fait de plus en plus désirer dans une Tunisie sujette à de récurrentes tensions sociales et ployant sous le joug d’une situation économique alarmante. Outre ces plaisanteries de journalistes, d’animateurs et de chroniqueurs qui ne font rire personne ou presque, on se rappellera que même la caméra cachée proposée aux Tunisiens depuis des années maintenant est basée sur la peur et la frayeur ou encore sur la critique et le jugement d’autrui. Un brin de lumière subsiste toutefois avec l’humour populaire, celui des citoyens qui à chaque mauvaise nouvelle, telle la toute récente et énième augmentation du prix du carburant ou encore l’affligeante élimination de l’équipe nationale du Mondial Russie 2018, rappliquent avec des blagues, des plaisanteries et des chansons drôles et ce, partant du principe, que mieux vaut en rire qu’en pleurer !