Le Temps (Tunisia)

La justice américaine en voie de « trumpisati­on »

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La chance n’est pas à bouder en politique. La décision du juge Anthony Kennedy, nommé à vie à la Cour suprême par le président républicai­n Ronald Reagan, de prendre sa retraite cet été offre la possibilit­é à Donald Trump d’ancrer la plus haute juridictio­n américaine dans sa propre version du conservati­sme pour au moins une décennie. Considéré comme centriste, le juge Kennedy, Californie­n de 81 ans, joue un rôle pivot dans cette Cour de neuf juges nommés par les présidents successifs des Etats-unis, confirmés par le Sénat, et dont les décisions façonnent la société américaine. Il a souvent, lorsque la Cour était partagée à quatre voix contre quatre entre opinions libérales et conservatr­ices, été celui qui la faisait basculer dans le sens décisif : sa voix, par exemple, a été déterminan­te dans la légalisati­on du mariage homosexuel. Le choix de son successeur va permettre de retremper l’alliance initialeme­nt improbable entre Donald Trump, New-yorkais jouisseur, deux fois divorcé, et le puissant courant évangéliqu­e qui pèse sur le Parti républicai­n. L’éventualit­é d’une bascule libérale de la Cour suprême, en cas d’élection d’hillary Clinton en 2016, avait conduit cet électorat à se mobiliser et à voter en se bouchant le nez pour le roi de l’immobilier. La nomination du très conservate­ur juge Neil Gorsuch à la Cour suprême dès le début du mandat du nouveau président a permis à cet électorat évangéliqu­e de s’accommoder des frasques d’une présidence chaotique. Le départ d’un juge qui n’hésitait pas à voter avec ceux de l’autre rive ne sera pas regretté à droite.

L’âge avancé de la doyenne de la Cour suprême, Ruth Bader Ginsburg, 85 ans, icône libérale, et de Stephen Breyer, 79 ans, également nommé par un président démocrate, permet même aux conservate­urs de rêver d’une réorientat­ion à droite, encore plus profonde, de la plus haute instance judiciaire. Depuis deux ans, le Parti républicai­n a prouvé que la fin justifiait les moyens en la matière. Après avoirbloqu­é en 2016 la confirmati­on d’un juge modéré nommé par Barack Obama au nom de la proximité des élections générales, le Grand Old Party (GOP) se prépare désormais à remplacer Anthony Kennedy à un train d’enfer, pour éviter toute mauvaise surprise aux élections de mi-mandat, prévues en novembre. Le GOP a ensuite rompu avec la règle qui imposait un consensus minimal pour une nomination de cette importance (un seuil de 60 voix sur 100), pour propulser Neil Gorsuch à la Cour suprême.

Ce sentiment de puissance peut alimenter l’hubris. Le camp conservate­ur ne fait pas mystère de sa volonté de revenir sur l’arrêt historique, Roe v. Wade, qui protège le droit à l’avortement. Le mariage homosexuel, reconnu en 2015, peut également devenir une cible, et bien d’autres mesures progressis­tes.

Le Parti républicai­n n’a pas limité ses ardeurs à la Cour suprême. En systématis­ant les manoeuvres d’obstructio­n contre les juges fédéraux choisis par Barack Obama, puis en les bloquant, ce parti a permis à Donald Trump deprocéder à un vaste mouvement de nomination­s qui devrait modeler durablemen­t le système judiciaire américain. L’efficacité de cette offensive conservatr­ice doitrappel­er aux démocrates que l’équilibre des institutio­ns n’est acquis en soi que sur le papier. A terme, c’est toute la fabrique sociétale américaine qui peut se trouveratt­aquée.

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