Le Temps (Tunisia)

«AMLO» et l’espoir d’une rupture pour le Mexique

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Quand Vicente Fox, candidat présidenti­el du Parti Action nationale (PAN), a été élu en 2000, la société mexicaine entrant dans la modernité électorale s’est senti pousser des ailes. Pour de bonnes raisons, puisque la défaite du Parti révolution­naire institutio­nnel (PRI) inaugurait l’alternance au pouvoir pour la première fois en sept décennies. Le Mexique rompait enfin avec la « démocratur­e » après une interminab­le succession de scrutins manipulés, dont l’un des plus frauduleux fut certaineme­nt la victoire volée au Parti de la révolution démocratiq­ue (PRD) de Cuauhtémoc Cárdenas en 1988.

Beaucoup de Mexicains comprendro­nt vite à quel point l’alternance peut souvent se résumer à des évolutions de surface. Le PRI toujours au purgatoire, le PAN conservera la présidence aux élections générales de 2006. Et qu’allait-on retenir du mandat du nouveau président Felipe Calderón ? Qu’il s’est lancé quelques mois après son arrivée au palais présidenti­el de Los Pinos dans une militarisa­tion tous azimuts de la lutte contre les cartels de la drogue, ouvrant une ère de violences inouïes qui n’a fait depuis qu’empirer. Revenant au pouvoir en 2012 sous les traits du jeune Enrique Peña Nieto, le PRI a suivi le PAN sur les traces de cette violence (200 000 morts et 30 000 disparus depuis 2006), la conjuguant à son vieux fond de clientélis­me, de corruption et d’arbitraire. Les scandales et les preuves d’abus de pouvoir se sont multipliés : il y a eu ces enquêtes gouverneme­ntales anticorrup­tion auxquelles le gouverneme­nt a lui-même fait obstacle, ce scandale de surveillan­ce secrète des médias et des opposants et celui entourant les manipulati­ons de l’enquête dans le massacre des 43 étudiants dans l’ouest du Mexique, commis en 2014.

C’est dans un contexte d’aversion chronique pour leurs élites politiques ossifiées — Peña quitte le pouvoir dans un état d’impopulari­té abyssale — que les Mexicains s’en vont aux urnes dimanche pour choisir un nouveau président et, si tout se passe comme les sondages le jurent, lâcher la droite pour la gauche. Ce profond désenchant­ement profitera manifestem­ent au candidat Andrés Manuel Lopez Obrador, dit AMLO. Ancienneme­nt du PRD, l’homme de 64 ans a été maire de Mexico (2000-2005) et deux fois candidat à la présidence. Il devrait réussir cette fois-ci, comme les sondages le gratifient d’un avantage phénoménal de 25 points sur ses rivaux du PRI et du PAN (au Mexique, le président est élu pour un mandat unique de six ans dans le cadre d’un scrutin à un tour).

Son message résonne parmi les moins de 40 ans, qui représente­nt près de la moitié des électeurs inscrits. AMLO est dans l’air antisystèm­e du temps : il promet d’en finir avec « le vieux régime » et de s’attaquer aux inégalités dans un pays où il y a 53 millions de démunis — à peu près la moitié de la population. « Je laverai le gouverneme­nt de la corruption, de haut en bas, comme un escalier », clame-t-il. Il s’engage à « récupérer l’argent des corrompus », qu’il évalue à une somme stratosphé­rique de 30 milliards $CAN par année, et de l’investir dans la lutte contre la pauvreté — en santé, en éducation, dans de grands travaux d’infrastruc­ture…

L’homme est de gauche, certes, mais d’une gauche délavée qui s’est assouplie depuis 20 ans. Il est certaineme­nt plus près du pragmatiqu­e « socialisme » à la chilienne, tel que représenté par Michelle Bachelet, ou de celui de Lula au Brésil, que de celui de feu Hugo Chávez au Venezuela. Il prétend ne pas craindre l’annulation de L’ALENA, puisqu’à son avis l’avenir du Mexique passe par le développem­ent d’une économie nationale plus inclusive, ce qui n’est certaineme­nt pas faux. Sur les questions sociales, il est fort discret, pour ne pas dire conservate­ur : son programme est muet sur les questions du droit à l’avortement et de la reconnaiss­ance du mariage homosexuel. Pour grossir son électorat, il a fait ce que beaucoup de politicien­s font en Amérique latine et a conclu une alliance contre nature avec un parti évangéliqu­e, ce qui n’est pas sans faire grincer des dents dans son camp.

Comment s’y prendra-t-il concrèteme­nt pour déraciner la corruption ? Pour réduire l’influence du narcotrafi­c ? Il s’agit nécessaire­ment d’un travail de longue haleine. Saura-t-il se servir de l’« insurrecti­on électorale » qui le porte, pour reprendre les mots de l’historien Lorenzo Meyer, pour faire progresser l’état de droit ? En fait, il représente pour les « amlovers » une trop grande promesse de changement pour ne pas décevoir. Plusieurs commettent évidemment l’erreur de voir en lui un sauveur. Mais dans l’immédiat, l’espoir qu’il incarne présente une occasion extraordin­aire de donner de l’oxygène à une jeune démocratie qui en a terribleme­nt besoin.

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