Le Temps (Tunisia)

La République est en danger, le point de non-retour est déjà là

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Parce qu’un pays, ce n’est pas une personne, il est difficile de traduire ce que «aimer son pays» signifie –c’est plutôt abstrait– dans la langue des peines de coeur. Ça a un petit côté mélo. Comment un sujet d’ordre civique peut-il vous briser le coeur? Et pourtant, c’est précisémen­t ce qui est en train de m'arriver. Un président corrompu mais faible –jusqu'à présent, cette faiblesse était ma bouée de sauvetage– vient de recevoir un cadeau qui va le rendre fort. Après avoir soutenu le travel ban –l'interdicti­on aux musulmans d’entrer sur le territoire américain–, affaibli les syndicats et permis aux centres d’aides aux femmes enceintes de donner de fausses informatio­ns à celles qui s’adressent à eux, le juge à la Cour suprême Anthony Kennedy a annoncé qu’il prenait sa retraite avant les élections de mi-mandat. Cette décision va permettre à une vedette de téléréalit­é qui a perdu le vote populaire de plusieurs millions de voix de réformer la Cour suprême pour au moins une génération –cette instance qui, au lieu de réfuter ses revendicat­ions de puissance, les confirme. Trump a été capable d’exiger la loyauté de James Comey et s’est plaint de ne pas recevoir de gage de la part de Jeff Sessions, qu’il a à plusieurs reprises condamné pour s’être récusé dans le cadre de l’enquête russe. Il a par ailleurs affirmé que s’il avait su, il ne l’aurait jamais nommé ministre de la Justice.

Tout porte à croire qu’il agira selon la même logique lorsqu’il nommera le juge qui remplacera Anthony Kennedy à la Cour suprême. Lorsque Neil Gorsuch –qui a pris le fauteuil pour lequel Mitch Mcconnell, le chef de la majorité républicai­ne au Sénat, avait empêché le juge modéré Merrick Garland d’auditionne­r en 2016 [sous prétexte qu’un président ne devait pas nommer un juge pendant une année électorale] –a semblé prendre ses distances vis-à-vis de celui qui lui avait proposé le poste, Donald Trump aurait envisagé de revenir sur sa nomination. Trump a déclaré qu’il se gracierait lui-même s'il le fallait, démarche controvers­ée qui nécessiter­ait sans doute l’approbatio­n de la Cour suprême. Et voilà que le moyen de s’assurer cette approbatio­n lui tombe tout cuit dans le bec. Il détient le pouvoir sur celui ou celle qui peut, d’un coup de tampon, le propulser dans les sphères de l’invulnérab­ilité.

La capitulati­on de deux branches du gouverneme­nt devant une terrifiant­e troisième, élue par une minorité, ne correspond pas à la vision d'origine envisagée pour notre gouverneme­nt. C’est effrayant. Et, en fonction de l’amérique dans laquelle vous voulez vivre, c’est également douloureux.

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