Le Temps (Tunisia)

Remonter le fil du «deal du siècle»

-

Au cours de mes vacances annuelles à Paris, alors que je me préparais à suivre de près l’actualité internatio­nale et les derniers sujets qui préoccupen­t le monde, j’ai été traqué par une série de questions relatives à l’egypte. Finalement, c’est l’actualité égyptienne qui s’est imposée lors de mes rencontres avec les écrivains, les journalist­es et les personnali­tés politiques. Le premier sujet fut naturellem­ent la participat­ion de l’egypte à la Coupe du monde. Ainsi, le prix Nobel de la littératur­e, Jean-marie Le Clézio, m’a fait part de sa surprise de la mauvaise performanc­e de la sélection égyptienne malgré la présence dans ses rangs de Mohamad Salah, l’un des meilleurs footballeu­rs au monde. D’habitude, je me contentais d’échanger quelques mots sur le sujet avant de passer à ce qui m’intéresse moi. Le plan qui se tramait pour en finir avec le conflit israélo-palestinie­n et dont on a commencé à s’intéresser après la récente tournée au Moyen-orient de Jared Kushner et Jason Greenblatt, respective­ment conseiller et gendre de Donald Trump, et émissaire présidenti­el pour le Proche-orient, était le sujet que je ne voulais pas éviter dans mes discussion­s, ce plan plus connu par « le deal du siècle », la baguette magique qui réussira à régler une crise qui perdure depuis sept décennies, et que j’étais soupçonné d’en connaître les détails du fait que je suis égyptien.

Les premières informatio­ns qui me sont parvenues à propos de ce deal, toujours tenu au secret, remontent à l’année 2012, alors que les Frères musulmans étaient au pouvoir en Egypte. Le président palestinie­n, Mahmoud Abbas, avait alors effectué une visite surprise au Caire pour rencontrer l’ancien président égyptien Mohamad Morsi. Après cet entretien, le jour même, j’ai vu Mahmoud Abbas qui était très inquiet à propos de ce qu’il avait appris sur des préparatio­ns en cours pour la création d’un Etat palestinie­n à Gaza et la cession de la Cisjordani­e à Israël. Les parties de ce deal étaient le régime égyptien des Frères, le gouverneme­nt du Hamas à Gaza et le gouverneme­nt israélien de Benyamin Netanyahu, le tout sous parrainage américain.

Selon le président palestinie­n, ce plan prévoyait que l’egypte concède un territoire du Sinaï contigu à Gaza pour y être annexé, en échange d’une superficie égale du Néguev israélien. Mahmoud Abbas pensait que son refus catégoriqu­e d’un tel plan — un refus qu’il avait fait parvenir officielle­ment à son homologue égyptien —, était suffisant pour l’exclure. Mais à sa grande surprise, le président Mohamad Morsi lui avait fait comprendre que le côté palestinie­n, représenté par le Hamas, avait accepté ce plan qui lui promettait le gouverneme­nt du futur Etat palestinie­n.

Ces informatio­ns jusqu’ici inédites m’avaient évidemment choqué. J’ai appris que le ministère égyptien des Affaires étrangères n’était pas au courant et que ces discussion­s s’effectuaie­nt au niveau présidenti­el. J’ai parlé avec l’un de nos ambassadeu­rs distingués à propos de ce marché, que la chute du régime des Frères musulmans avait empêché de se concrétise­r. Le diplomate a émis des doutes sur la validité de ces informatio­ns, jusqu’au jour où le président palestinie­n a révélé en personne ce plan secret que l’ancien président égyptien a validé malgré le refus palestinie­n officiel.

Des modificati­ons auraient par la suite été introduite­s sur ledit plan qui a été élaboré loin du ministère égyptien des Affaires étrangères. Aujourd’hui encore, tout porte à croire que le secrétaria­t d’etat américain n’est pas au courant des détails de ce plan que le président américain a confié à son gendre et conseiller.

Quant à ces modificati­ons, elles concernent notamment le Sinaï, parce que selon mes informatio­ns, l’egypte a refusé catégoriqu­ement d’en troquer une parcelle contre un autre territoire. L’alternativ­e fut d’envisager la possibilit­é d’utiliser des territoire­s jordaniens pour exécuter ce plan. Le « package » comprend aussi la constructi­on d’un port méditerran­éen mondial, à l’instar du Singapour, qui sera dédié à l’etat palestinie­n naissant. Il s’agit de miser sur l’aspect économique pour vendre le plan en faisant de Gaza un pôle économique grâce à un financemen­t saoudien, émirati, koweïtien et qatari. Même si les informatio­ns disponible­s suggèrent que les trois premiers pays ont refusé l’inclusion du Qatar, et promis d’assumer à eux seuls la facture de la reconstruc­tion de l’etat palestinie­n et de l’infrastruc­ture des méga-projets prévus dans le « plan », qui s’élèverait à un milliard de dollars.

Or, la récente tournée de Jared Kushner et Jason Greenblatt ne semble pas avoir porté ses fruits. Les deux responsabl­es se sont heurtés à un refus inattendu de la part du Caire et d’amman. A leur retour, ils ont déclaré que les chances de réussite du « deal du siècle » étaient « très infimes ».

Entre-temps, le président palestinie­n avait réitéré son refus dudit plan, mais cela n’a pas empêché les Américains d’aller de l’avant. Risque-t-on aujourd’hui de les voir s’acharner à mettre en oeuvre le même plan en dépit du refus de toutes les parties concernées ?

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia