Le Temps (Tunisia)

La fraternité, au principe de l'aide aux migrants

-

Personne n’ignore la devise de la République : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Jusqu’à présent, pourtant, la fraternité était le parent pauvre du triptyque. C’est donc une décision importante que le Conseil constituti­onnel a prise, vendredi 6 juillet. Pour la première fois, en effet, il a consacré la « valeur constituti­onnelle du principe de fraternité », au même titre que ceux de liberté et d’égalité auquel il fait constammen­t référence pour établir sa jurisprude­nce. Cette décision est d’autant plus symbolique qu’elle porte sur la question très sensible de l’aide au séjour d’un étranger en situation irrégulièr­e.

Le conseil avait été saisi de deux questions prioritair­es de constituti­onnalité par l’avocat de Cédric Herrou. Devenu le symbole de la défense des migrants de la vallée de la Roya, l’un des principaux points de passage des migrants arrivés en Europe par l’italie, cet agriculteu­r a été condamné à quatre mois de prison avec sursis en août 2017 pour avoir transporté et accueilli chez lui quelque deux cents migrants. Etaient associés à cette saisine du Conseil constituti­onnel, pour des motifs similaires, un universita­ire, Pierre-alain Mannoni, deux autres plaignants et une douzaine d’associatio­ns d’aide aux migrants, dont la Cimade et la Ligue des droits de l’homme.

Tous remettaien­t en cause une dispositio­n très controvers­ée du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) selon laquelle « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulatio­n ou le séjour irrégulier d’un étranger en France sera punie d’un emprisonne­ment de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros ». Toutefois, précise cet article du code, « l’aide au séjour irrégulier d’un étranger » ne peutentraî­ner de poursuites pénales « lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepart­ie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestation­s de restaurati­on, d’hébergemen­t ou des soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger ».

L’exemption du « délit de solidarité » était donc circonscri­te, mais de façon floue, à« l’aide au séjour irrégulier ». C’est cette restrictio­n et ce flou que le Conseil constituti­onnel a censurés de façon solennelle : « Il découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui, dans un but humanitair­e, sans considérat­ion de la régularité de son séjour sur le territoire national ». En clair, l’aide humanitair­e à des migrants ne peut être assimilée à l’action des mafias de « passeurs ».

Toutefois, le Conseil rappelle que les étrangers n’ont aucun droit « de caractère général et absolu d’accès et de séjour » en France. Autrement dit, l’aide à l’entrée sur le territoire national de migrants en situation irrégulièr­e reste passible de poursuites. En outre, il est rappelé que l’objectif de lutte contre l’immigratio­n irrégulièr­e « participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constituti­onnelle ».

Le Conseil demande donc au Parlement de modifier la loi, d’ici au 1er décembre, afin d’assurer « une conciliati­on équilibrée entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l’ordre public ». Alors que la polémique ne cesse de s’envenimer, en Europe, sur les politiques migratoire­s, le débat est donc loin d’être clos. Mais il se poursuivra, en France, sur des bases plus conformes aux valeurs de la République.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia