Trump à son plus déconcertant
« Je pense que Poutine sera la partie la plus facile de mon voyage en Europe », avait dit Donald Trump avant son départ des États-unis. Facile, peut-être, mais, en fin de compte, probablement la plus embarrassante. M. Trump aura passé la semaine dernière à se comporter face à l’europe comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, critiquant ses alliés de L’OTAN pour l’insuffisance de leurs budgets militaires, attaquant l’allemagne sur sa dépendance gazière à la Russie et la première ministre britannique, Theresa May, pour le Brexit trop mou qu’elle essaie de conclure avec l’union européenne. Autant de vociférations qui ne manquent pas de laisser perplexe, certes, mais dont le ton surprend de moins en moins.
Sauf que lundi, en conférence de presse à l’issue du « sommet » d’helsinki, l’homme s’est surpassé à l’échelle du mépris qu’il affiche à l’égard de l’état de droit depuis son élection en déclarant qu’en ce qui concerne le débat autour de l’ingérence russe dans la présidentielle de 2016, il trouvait plus crédibles les démentis de son homologue Vladimir Poutine que les faits mis au jour par l’enquête du procureur spécial Robert Mueller. « Un des pires moments de l’histoire de la présidence américaine », a réagi le sénateur John Mccain, traduisant l’émoi de la classe politique, y compris républicaine.
Vrai que M. Trump n’en est pas à une sortie près contre la « chasse aux sorcières » que constitue d’après lui l’enquête de M. Mueller. Mais l’entendre accréditer les propos de M. Poutine en présence même de ce dernier était d’autant plus stupéfiant que douze agents du renseignement russe viennent d’être accusés d’avoir piraté des ordinateurs du Parti démocrate. Ses propos ont été d’une complaisance telle, qu’on ne peut s’empêcher de se demander quels secrets et quelles connivences elle dissimule. Après tout, les inculpations déposées vendredi font état de liens entre les pirates et des membres de son entourage de campagne immédiat.
Le président russe n’en attendait peut-être pas tant : le seul fait que ce sommet se tienne améliorait sa posture face à son électorat, lui permettant, dans la foulée de son intervention militaire en Syrie, de jouer la corde nationaliste et de dire que la Russie retrouvait sa stature d’antan sur la scène internationale. Il n’est pas sans paradoxe que M. Poutine se trouve à gagner en légitimité avec ce sommet, grâce à un président américain qui n’a pas pourtant beaucoup de crédibilité, ni chez lui ni dans le monde.
Face à l’europe, la stratégie de base de M. Poutine consiste depuis longtemps à semer la division. Critiquant les Européens comme il a l’habitude de le faire depuis son arrivée au pouvoir, ainsi qu’il l’a encore fait la semaine dernière à Bruxelles, M. Trump se trouve donc, en fait, à participer à ce travail de sape.
Cela donne une idée du désordre que le président américain, apparemment décidé à faire de la Russie un interlocuteur principal et à développer avec Vladimir Poutine « une relation extraordinaire », est prêt à fomenter dans les relations internationales au nom de la stricte et étroite défense des intérêts des États-unis. Ce qui revient, faut-il le rappeler, à vouloir modeler les dynamiques mondiales sur les seuls rapports de force, loin de toute conception des relations entre nations fondées sur un certain degré de collaboration. De communauté d’esprit semblable, ils sont deux hommes pour lesquels la construction européenne menace les ambitions respectives. Leur grille de lecture se recoupe : les États-unis d’abord pour l’un, la Russie d’abord pour l’autre. Ils sont deux machos allergiques au multilatéralisme et peu sensibles à la défense des droits de la personne et des minorités.
Mais si leurs conceptions du monde sont convergentes, leurs intérêts, eux, sont nécessairement conflictuels. M. Poutine est parvenu à briser l’isolement de la Russie sur la scène internationale en apportant militairement son soutien à Bachar al-assad en Syrie à partir de septembre 2015 et en tissant des liens avec l’iran. C’est dire que le projet de renaissance russe qu’il défend ne cessera pas demain de s’appuyer sur une lutte contre « l’hégémonie américaine ». Or, M. Trump a manifesté lundi à Helsinki une inconscience crasse à l’égard des dangers que présente son empressement à s’entendre n’importe comment avec lui. Son comportement n’a pas été que déconcertant, il a été dangereux.