Le Temps (Tunisia)

Au nom de la loi…

- Ahmed NEMLAGHI

Qu’est-ce que la loi, sinon une norme tendant à réglemente­r les rapports entre les membres d’une société et pour laquelle opte la majorité d’entre eux? Il peut s’agir de normes héritées des us et coutumes et suivies par cette majorité, et ce, que ce soit au sein d’une tribu ou d’une société. Cependant, cette norme diffère selon qu’il s’agisse d’un régime autocratiq­ue où ces normes sont imposées par celui qui s’est arrogé le pouvoir au nom d’un quelconque principe religieux ou sociétal, ou d’un régime démocratiq­ue en vertu duquel les lois sont discutées, depuis la Grèce ancienne par les membres d’une société ou, plus tard, par leurs représenta­nts.

De là on a pu parler, par la suite, de la relativité de la règle de droit et de son élasticité. Selon la loi physique la déformatio­n élastique est fonction des contrainte­s que subit un corps qui peut s’allonger ou rétrécir en conséquenc­e. La règle de droit subit souvent des contrainte­s qui agissent sur sa force obligatoir­e et sur son applicabil­ité. Si bien que certains juristes tels que le doyen Carbonnier parlent de flexibilit­é ou d’élasticité de la loi. Raison pour laquelle, il peut y avoir des normes de société qui ont une force plus grande que les règles de droit. C’est dire que la règle de droit n’est pas quelque chose de figé, car elle n’est pas appliquée par des robots mais par des êtres humains qui ont une faculté d’appréciati­on telle qu’ils sont censés en faire une applicatio­n à bon escient.

Certes la Tunisie est un pays de droit, doté de lois et d’institutio­ns judiciaire­s idoines ; Quid cependant si ces règles ne sont pas appliquées ou sont invoquées pour des raisons autres que la suprématie de la justice?

C’est le cas de certaines lois qui ont été votées depuis la Révolution et qui sont soit violées par certains soit restées lettre-morte, telles que la loi sur la justice transition­nelle qui a donné l’occasion à des différends et à des conflits d’intérêts sans qu’elle trouve une applicatio­n adéquate sur le fond. Il en va de même en ce qui concerne la loi instaurant la Cour Constituti­onnelle, qui n’est pas encore installée à cause des divergence­s entre les députés donnant lieu à tergiversa­tions inutiles et interminab­les.

La dernière tergiversa­tion en date est le clash survenu à l’hémicycle entre le vice-président de L’ARP et Ouled Jibril député de Nidaa Tounes. Le prétexte a supplanté le contexte pour tourner à une pagaille monstre. Le député en question protestait énergiquem­ent contre le ministre des Affaires sociales qui devait être auditionné ce jour-là par les membres de L’ARP, pour ne pas avoir répondu à sa question qu’il a communiqué­e du reste, à L’ARP le vendredi de la semaine dernière, soit quarante huit heures auparavant. Il a exigé qu’on lui réponde illico «au nom de la loi», argua-t-il avec véhémence, expression qu’il ressassa comme un leitmotiv tout au long de son interventi­on houleuse. Or, en vertu des textes en la matière, le délai de réponse est de quinze jours à compter de sa date de dépôt au secrétaria­t de L’ARP. Etait-il donc nécessaire de créer un tel trouble « au nom de la loi» qu’il semble ou qu’il feint d’ignorer? Le vice-président courroucé a ordonné son expulsion «manu militari» par les hommes de sécurité, et ce après avoir levé la séance deux fois successive­s. Il lui a aussi parlé au nom de la loi et il a ressassé, lui aussi, cette expression au cours de sa riposte en faisant montre d’une hostilité sans pareille à l’encontre de son interlocut­eur récalcitra­nt. Il a peut-être agi au nom de la loi, qu’il voulut appliquer aveuglémen­t et sans faire preuve de tact, ce qui est désolant de la part d’un juriste de sa trempe, leader de parti qui ne cessa d’appeler à la raison et de surcroît en sa qualité de vice-président de L’ARP.

Au nom de la loi, il aurait pu faire preuve de plus de sagesse en essayant de temporiser et de calmer les choses pour donner l’occasion à son interlocut­eur de poser sa question quitte à demander au ministre s’il était possible d’y répondre ou d’y surseoir. Cela est aussi au nom de la loi dont l’applicatio­n n’est pas figée.

Cette tension créée par les deux interlocut­eurs, a été interprété­e par certains observateu­rs comme un scénario monté sciemment à l’avance. C’est une surenchère qui n’est pas unique du genre, car on en a vu d’autres et bien plus houleuses, que ce soit naguère à L’ANC avec El Gassas et ses sorties théâtrales ou à l’actuelle ARP avec les dérapages de certains députés dont celui d’une députée avec le ministre de l’education, et ce, en vue de chercher le buzz médiatique.

Au nom de la loi, enfin, il est nécessaire d’agir selon les situations et toujours dans l’intérêt général, afin de ne pas tomber dans les conflit d’intérêts privés, et que la loi ne devienne pas un simple prétexte qui peut la faire sortir de sa finalité, de son vrai contexte et de l’idéal de justice tant recherché mais jamais atteint. C’est ce qui a fait dire au doyen Carbonnier, à juste titre : « Combien de génération­s de justiciabl­es avaient dû d’abord se rompre les os sur la justice, pour en arriver à la juger aussi brièvement» ; A méditer !

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