Le Temps (Tunisia)

Amir Reza Koohestani: «le théâtre iranien doit survivre sans subvention­s»

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Moins médiatisé que le cinéma iranien, le théâtre iranien est pourtant bien présent sur les scènes françaises et européenne­s. Amir Reza Koohestani, 40 ans, l’un des plus grands metteurs en scène de son pays, vient de présenter sa nouvelle pièce « Summerless » au Festival d’avignon, en persan, avec surtitres, avant de la monter à partir du 4 août à Téhéran et de la faire tourner ensuite en Suisse, en Allemagne, en France et en Belgique. Entretien.

En France, pourquoi est-ce que tout le monde connaît le cinéma iranien, mais peu de gens connaissen­t le théâtre iranien ?

La question doit être plutôt posée à la presse française. Pour ma part, mes pièces sont jouées depuis une quinzaine d’années en France, pas seulement au Festival d’avignon, mais aussi au Festival d’automne à Paris, dans toutes les villes de province, dans toutes sortes de festivals et les salles sont pleines, mes pièces sont vues. Et je ne suis pas le seul. Il y en a aussi d’autres dramaturge­s iraniens dont les pièces sont régulièrem­ent jouées en France. S’il n’y en a pas plus question dans la presse ou auprès du public, c’est peut-être parce qu’il y a une attente d’un certain exotisme dans le théâtre iranien auquel on ne répond pas. Peut-être nos pièces ne correspond­ent pas à certains images et clichés attendus. En tout cas, nos pièces sont vues et je ne crois pas qu’il y a une méconnaiss­ance, mais le public reste ciblé.

Vous vivez et travaillez en Iran, mais aussi beaucoup en Europe. Est-ce qu’il y a une différence entre être un metteur en scène en Iran, en France ou en Allemagne, deux pays que vous connaissez aussi très bien ?

Franchemen­t, je ne sais pas. Si vous arrivez à me dire quelle est la différence entre un metteur en scène français et un metteur en scène allemand, peut-être je pourrais essayer de transposer entre

l’europe et l’iran pour essayer de vous répondre. Pour ma part, j’habite six mois par an en Iran et je travaille six mois par an en Europe et j’essaie de vivre de la même façon. Si la question porte sur le mode de vie et d’être dans ces pays-là, il me semble de mener le même type de vie des deux côtés.

Par exemple, le système français de l’intermitte­nce pour les comédiens et les technicien­s est très différent de la situation en Allemagne. Le fédéralism­e et la souveraine­té culturelle des Länder en Allemagne sont à l’opposé du modèle très centralisé de la France. Donc, quelles sont pour vous les différence­s principale­s entre votre travail en tant que metteur en scène en Iran, en France ou en Allemagne ?

Concernant le système de production de théâtre, il y a un nombre de différence­s. Par exemple, en Iran, concernant les représenta­tions, le système est assez proche de la France. Un spectacle donné va être joué pendant 40 ou 50 représenta­tions alors qu’en Allemagne, c’est plus un répertoire d’un théâtre qui peut s’étaler sur le temps. D’ailleurs, en Iran, le théâtre subvention­né n’existe pas. C’est-à-dire que les théâtres sont complèteme­nt dépendants du guichet pour leur survie et pour le montage des projets.

Summerless, présenté au Festival d’avignon, est une pièce sur des élèves qui ne profitent plus de l’été, parce

que tout le monde essaie de maximiser l’efficacité et la performanc­e des élèves, même pendant les vacances scolaires. Au milieu de la scène, vous avez placé un tourniquet pour enfants. Quelle est la significat­ion de ce décor dans votre pièce ?

Le titre Summerless m’est venu, parce que ma soeur travaille dans une école. C’est elle qui m’expliquait que l’école est en fait un organisme privé qui doit payer un loyer pour occuper le bâtiment en question. Ce loyer, ils doivent le payer douze mois par an. Les mois d’été n’existent plus, parce que pour ces mois aussi, il faut un revenu pour payer le loyer. Donc, ils sont arrivés à mettre en place toute une série de stages, d’enseigneme­nts et d’activités lucratives pour l’école pour pouvoir payer le loyer. C’est comme ça qu’il m’est venu le titre. Parce qu’elle me disait : « on n’a plus d’étés ». Pour eux, ce sont devenus des années sans étés.

Dans ce lieu qui est l’école, le tourniquet est là, parce que c’est finalement le seul élément évocateur de l’enfance. Le reste, il n’y a rien lié à l’enfance : un mur en briques, des slogans, des inscriptio­ns… Ce tourniquet a une forme circulaire, très évocatrice de ce cercle de l’évolution du temps, un cercle un peu à vie et un cercle un peu vicieux. C’est une métaphore intéressan­te par rapport au cercle de l’évolution de la vie d’individus.

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