Trump ferait bien de se rappeler que l’iran n’est pas la Corée du Nord
Comment ne pas être consterné par la menace à l’iran tweetée par Donald Trump dimanche 22 juillet? Annonçait-il une guerre imminente, faisait-il pression sur Téhéran pour renégocier l’accord sur le nucléaire ou cherchait-il à oublier ses problèmes domestiques? Quoi qu’il ait voulu faire, ce tweet ne peut qu’avoir des conséquences négatives et ses suppositions sont erronées. Voici le fameux tweet, dans son intégralité:
Il est remarquable que malgré toutes les heures qu’il passe dans la twittosphère, Donald Trump ne sait toujours pas qu’écrire un message intégralement en capitales dénote un total manque de sérieux –à l’inverse de la célèbre maxime de Théodore Roosevelt, Trump parle (tweete) bruyamment, mais tient un petit bâton.
«Le feu et la fureur» tombés à l'eau
Essayons tout de même de voir en quoi ces gazouillis peuvent être pris au sérieux. Une remarque récurrente veut que le ton de ce tweet rappelle le «feu et la fureur» des menaces proférées par Trump il y a presque exactement un an contre «le petit homme à la fusée», Kim Jong-un.
Ces commentaires, Trump en est persuadé, ont tant fait peur à Kim que ce dernier a modéré sa position et s’est précipité à la table des négociations: pour lui, ce nouveau tweet devrait avoir le même effet sur Rohani. Mais il y a quatre raisons de douter fortement de cette idée.
D’abord, il n’est pas du tout sûr que le tweet de Trump de l’an dernier ait poussé Kim à battre en retraite; en réalité, il pourrait même avoir eu l’effet inverse. Trump avait annoncé «le feu et la fureur» le 8 août. Trois semaines plus tard, le 29 août, Kim avaittiré un missile balistique de portée intermédiaire au-dessus du Japon. Le 3 septembre, il avait fait détoner son engin nucléaire le plus puissant jusqu’alors, possiblement une bombe à hydrogène. Le 29 novembre, il avait lancé un autre missile, d'une portée suffisante pour frapper le territoire des États-unis.
Loin de trembler de peur, Kim a poursuivi sans coup férir son chemin vers l’acquisition d’un arsenal nucléaire, accélérant peutêtre même son effort après les avertissements les plus belliqueux de Trump. Ce n’est qu’après avoir déclaré disposer de la dissuasion nucléaire que Kim a entamé son action de charme du Nouvel An. Deuxièmement, le stratagème de Trump –à supposer que cela en soit un– n’a pas payé. Admettons que ses menaces aient poussé Kim à venir discuter; elles n’ont eu aucun effet depuis. Les pourparlers entre les négociateurs américains et nord-coréens n’ont mené nulle part. La tentative du secrétaire d’état Mike Pompeo de forcer des avancées, lors d’un troisième voyage à Pyongyang au début du mois de juillet, a été un désastre. Trump continue d’assurer que le sommet s’est très bien passé et qu’il n’y a ni calendrier, ni date limite prévue pour que son super pote Kim «dénucléarise», ce qui donne évidemment permission à Kim de faire traîner les choses indéfiniment.
Rohani fermé aux négociations
Troisièmement, les rafales de «feu et de fureur» de l’été dernier ont eu un effet très vif sur le président sud-coréen Moon Jaein, qui a accepté les ouvertures de Kim avec alacrité et enthousiasme. De ce point de vue, Moon, en tant qu’allié des États-unis et avocat du dialogue avec le Nord, a beaucoup fait pour pousser Trump et Kim à la tenue d’un sommet.
Personne ici n’est en position d’agir en tant qu’intermédiaire entre Trump et Rohani. L’union européenne aurait pu, notamment parce qu’elle avait oeuvré pour la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, mais Trump a désigné L’UE comme un «ennemi». En un renversement étonnant, on pourrait imaginer Vladimir Poutine jouer le rôle dans l’ombre, mais le président russe n'a que peu d’influence sur la politique de l’iran, malgré leurs intérêts convergents en Syrie.
Subsiste enfin la vaste question de la vie politique iranienne. Kim a assez de pouvoir à Pyongyang pour modifier son attitude envers les États-unis et exécuter quiconque proteste, mais Rohani doit faire face à la pression constante de factions radicales, devenues plus radicales encore depuis le retrait de Trump de l’accord sur le nucléaire iranien et son annonce de nouvelles sanctions. À ce stade, Rohani ne peut se permettre de céder à des avances de Trump, qu’elles se présentent sous la forme d’amabilités ou de menaces.
Rohani a déjà réalisé énormément de concessions et fait un pari politique immense en signant l’accord sur le nucléaire avec le président Obama et les dirigeants de cinq autres pays. Et puis Trump s’est retiré de l’accord, même si des inspecteurs internationaux et sa propre administration attestaient que l’iran en respectait les règles. Pourquoi Trump croit-il que Rohani voudrait négocier un nouvel accord? Pourquoi voudrait-il céder à des restrictions encore plus dures?
Pressions pro-intervention
Trump n’est pas en route pour le prix Nobel de la paix. Mais qu’en est-il de cette théorie selon laquelle le président américain préparerait une guerre contre l’iran? Il est en réalité peu probable qu’il cherche le conflit. Trump semble simplement penser que des actions bruyantes, sous forme de tweets ou dedéfilés militaires, suffisent à faire trembler ses ennemis. Mais sa rhétorique et ses actions ne font qu’accroître les tensions.
Son conseiller national à la sécurité, John Bolton, défend l’idée d’un changement de régime en Iran depuis des années, et maintenant que Trump a rejeté son conseil d’attaquer la Corée du Nord et de suivre une ligne dure contre la Russie, l’iran semble être sa dernière chance pour se refaire.
Bolton n’est pas seul sur ce théâtre des opérations potentielles. Mike Pompeo a appelé à une éviction des mollahs lors d’un discours à la diaspora iranienne, prononcé à la bibliothèque présidentielle Ronald Reagan en Californie quelques heures seulement avant le tweet de Donald Trump. Le président américain a aussi été invité à s’attaquer à l’iran par certains de ses chefs d’état étrangers préférés, notamment le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et la famille royale saoudienne...