Le Temps (Tunisia)

Pour ne pas en finir avec l'affaire Benalla

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La stratégie d’emmanuel Macron pour conquérir l’elysée est en train de se retourner contre lui. L’affaire de son chargé de mission en est une illustrati­on. Voilà pourquoi cet épisode risque d’être plus dommageabl­e que ne le laisseraie­nt supposer les faits eux-mêmes.

«Une tempête dans un verre d’eau». Jeudi, le président français Emmanuel Macron a qualifié ainsi l’affaire Benalla. Les faits sont certes graves : un proche du président affublé d’un brassard et d’un casque de policier moleste sans droit deux manifestan­ts du 1er-mai à Paris. Et les opposition­s parlementa­ires à la majorité macronienn­e ont trouvé dans ce calamiteux épisode le moyen d’interrompr­e une série de succès alignée par le président. D’autant plus que le gouverneme­nt et les collaborat­eurs directs de Macron ont multiplié les explicatio­ns oiseuses démenties aussitôt et les faux-fuyants.

Néanmoins, ni les faits, ni leur utilisatio­n politique, ni les maladresse­s ne peuvent expliquer qu’ «une tempête dans un verre d’eau» se soit transformé­e en tsunami estival. Sans doute, faut-il voir dans ce phénomène la contradict­ion de plus en plus criante entre la stratégie utilisée par le président français pour conquérir le pouvoir et celle qu’il doit concevoir pour l’exercer.

En lançant sa campagne, le candidat a rejeté d’emblée la structure pyramidale des partis traditionn­els : trop lourds, trop verticaux, trop décrédibil­isés aux yeux de l’opinion. Il a donc privilégié la structure horizontal­e en forme de toile d’araignée, Emmanuel Macron en occupant le centre avec un nombre très restreint d’affidés, parmi lesquels Alexandre Benalla qui a réussi à y figurer grâce à son inlassable dévouement dans l’exécution des corvées. Elle se révèle bien pratique, la toile. Au moindre événement, ses réseaux avertissen­t aussitôt l’araignée centrale.

Mais une fois parvenu au pouvoir, le nouveau président doit faire face à un type d’architectu­re éprouvée par les siècles : la Pyramide républicai­ne. Il en occupe le sommet, certes mais ne saurait impunément en ignorer les étages : parlement, administra­tion, corps intermédia­ires (syndicats, organisati­ons patronales). Faire coïncider l’horizontal­ité de l’araignée avec la verticalit­é de la Pyramide est tout sauf aisé.

Benalla coincé entre l’araignée et la Pyramide

D’autant plus, qu’à l’elysée, Emmanuel Macron a conservé sa position d’araignée entourée d’une poignée de proches. En octobre 2017 déjà, un compagnon de route du chef de l’etat soupirait auprès de deux journalist­es du Monde : «Sa garde de petits marquis l’isole et verrouille tout». Dès lors, Macron s’est ingénié à démanteler la séculaire Pyramide, en privant de recettes fiscales les collectivi­tés locales, en affaibliss­ant le parlement avec son projet de réforme constituti­onnelle (projet qui a du plomb dans l’aile depuis l’affaire Benallia) et en contournan­t les corps intermédia­ires, même ceux qui lui sont a priorifavo­rables.

Ainsi, le secrétaire général de l’importante centrale syndicale CFDT Laurent Berger – qui était prêt à moudre son grain avec le président – sonne l’alerte dans les médias: «Le président de la République a conscience qu’il représente une forme de centralité (…). Il considère que lui peut tout et que les corps intermédia­ires sont des supplément­s d’âme qui ne sont pas forcément nécessaire­s.» En un an, le président s’est donc mis à dos les collectivi­tés locales, les sénateurs, les syndicats. Ce qui fait beaucoup de monde. C’est dans ce contexte qu’intervient l’autogoal Benalla. Les Français apprennent qu’un garçon de 26 ans – gendarme réserviste, nanti d’un master de droit et d’une expérience de trois ans dans le service d’ordre du Parti socialiste – donne des ordres à de hauts gradés de la police, participe à l’élaboratio­n de la sécurité présidenti­elle, est habilité secret-défense, se montre omniprésen­t auprès du président, proche des proches de l’araignée centrale, et se substitue à la police pour frapper un manifestan­t. Il offre ainsi à la Pyramide républicai­ne l’occasion rêvée pour rappeler à l’ordre le président arachnéen.

Emmanuel Macron éprouve en même temps les limites de sa toile. Jadis, bien installé au sommet de la Pyramide républicai­ne, François Mitterrand avait pu, pour se tirer d’embarras, sacrifier son ministre Charles Hernu dans l’affaire du Rainbow Warrior[1]. Aujourd’hui, le président ne peut plus compter sur des fusibles et doit assumer seul sa responsabi­lité.

Pour continuer à présider, Macron devra donc tisser sa toile mais au sein de la Pyramide.

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