Mille jours: profitons-en!
On a beaucoup épilogué sur les 500 jours dedonald Trump, mais je vois dans les 1000 jours qui restent une belle occasion à saisir. On peut se désoler de la situation, mais l’isolationnisme américain et le repli britannique créent une conjoncture extraordinaire, dont il faut profiter tout de suite. Or — est-ce un hasard ? —, cet isolement auto-imposé se manifeste juste au moment où les Facebook, Google et autres Netflix de ce monde perdent leur aura de sainteté.
Soudain, pour les pays francophones, et en particulier pour le Canada et le Québec, il devient possible de faire évoluer les règles en matière de commerce, de Web, de diversité culturelle et de plurilinguisme. L’accord de partenariat transpacifique global et progressiste (APTGP) est la preuve éloquente que, grâce à Donald — ou plutôt grâce à son absence —, on peut faire avancer certaines idées. Car à peine trois jours après son investiture, Donald Trump torpillait cet accord signé avec 11 pays de la zone du Pacifique. Les 11 autres pays l’ont renégocié, et le Canada s’est arrangé pour renforcer la protection culturelle. Historiquement, ce sont les Américains qui ont suscité la nuée d’organismes internationaux tels L’ONU, L’UNESCO, le FMI et la Banque mondiale. Le multilatéralisme était dans l’intérêt de tout le monde. Sauf qu’ils y défendaient aussi leurs intérêts, et farouchement. Si les Américains désavouent tous ces organismes ou s’en retirent, il devient possible de les faire évoluer et d’en changer les règles. (Et les Américains seront devant le fait accompli.)
C’est particulièrement vrai pour les grands dossiers chers aux francophones, comme la diversité culturelle et le plurilinguisme. De même pour presque tous les dossiers de diplomatie commerciale et environnementale, où les Américains ne faisaient aucune concession aux pays francophones, notamment africains. Leur retrait crée un déséquilibre qui peut profiter à ceux qui sont prêts à l’exploiter. Soudain, il y a un boulevard qui s’ouvre. Même chose avec le Brexit. Depuis leur entrée dans l’union européenne, en 1973, les Britanniques se sont employés à saboter le projet d’origine. Leur recul fournit une occasion en or de renforcer les institutions, cela favorisera le noyau dur des six pays fondateurs, dont la France et la Belgique.
De même pour la diversité culturelle. La Convention sur la diversité culturelle de L’UNESCO, promulguée en 2005, établit que la culture n’est pas un bien commercial comme les autres, puisqu’elle exprime aussi l’identité. Un peu comme l’environnement, elle peut donc être donc soustraite aux règles du commerce international et aux accords commerciaux. Ce dossier fut une grande victoire francophone, en particulier française et québécoise. Deux pays s’y opposaient : Israël et les États-unis.
Les principes de cette convention n’ont jamais été mis en application dans l’univers numérique. Il y a six mois encore, quiconque voulait le faire devait se défendre de mener un combat d’arrière-garde. Vouloir réguler le Web pour protéger la culture, c’était être contre le « progrès », contre la mondialisation, contre la technologie, contre la liberté même. L’argument était spécieux, bien sûr, mais il était quasi illégitime de dire : « il y a une mondialisation en français », ou « on peut imposer des règles aux géants du Web sans vouloir les détruire ».
C’est d’abord l’union européenne et quelques pays membres qui ont pris sur eux d’utiliser leurs pouvoirs pour lever des sanctions financières contre les géants du Web. Mais devant le scandale découlant de l’affaire Cambridge Analytica et l’appauvrissement croissant des industries culturelles et médiatiques nationales au profit de Facebook, Google et autres Amazon, le fatalisme le cède à la résolution. Partout, des voix s’élèvent : rien de tout cela n’est inéluctable.
Au Canada, l’occasion est belle de pousser une réglementation de contenu canadien sur les plateformes Web et d’imposer la divulgation d’algorithmes et la redistribution équitable des revenus publicitaires, voire la création d’une régie publicitaire nationale. De toute manière, L’ALENAEST en danger, et Donald Trump pousse encore le bouchon en déclenchant une guerre commerciale mondiale et en considérant le commerce canadien comme une menace à la sécurité nationale. C’est avec des citrons qu’on fait de la limonade. Alors, autant en profiter pour rebrasser les cartes.
C’est une chose que le gouvernement du Québec semble avoir comprise avant Ottawa, mais peu importe. Soudainement, tout cela est devenu possible. Encore faut-il que nos ministres et députés, qui font les lois, aient l’intelligence de le voir. Il ne reste que 1000 jours avant la prochaine investiture présidentielle. À moins que les électeurs américains nous en donnent 1500 de plus !