Le Temps (Tunisia)

Migration irrégulièr­e, ou le poids des mots

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Les faits sont là. Depuis près de trois mois, le nombre de migrants qui se présentent de façon irrégulièr­e à la frontière a diminué. Et quand ils empruntent le chemin Roxham, ils sont toujours arrêtés à leur arrivée, fichés, questionné­s avant de pouvoir faire une demande d’asile. Ceux qui ne peuvent pas en faire une sont détenus, les autres, relâchés mais dirigés vers les services appropriés.

Il n’y a pas de chaos à la frontière, a tranché le représenta­nt du Haut-commissari­at des Nations unies pour les réfugiés, Jean-nicolas Beuze, devant le Comité permanent de la citoyennet­é et de l’immigratio­n, la semaine dernière. Il a rappelé qu’il y a dans le monde 29,4 millions de personnes déplacées et en attente de statut, et que le Canada n’en a accueilli que 50 000, soit moins de 0,2 %.

Tout n’est cependant pas parfait et la réunion d’urgence du comité était justifiée. Cette situation exige qu’on fasse le point à intervalle­s réguliers et que les responsabl­es rendent des comptes. Élus, provinces, municipali­tés, groupes humanitair­es et citoyens ont des préoccupat­ions légitimes. Il manque de ressources pour le logement temporaire, les services sociaux et ainsi de suite. On veut plus d’effectifs à la Commission de l’immigratio­n et du statut de réfugié pour traiter plus rapidement les demandes d’asile. Et ne devraiton pas suspendre ou revoir l’entente sur les tiers pays sûrs conclue avec les États-unis ?

Toutes ces questions ont été soulevées mardi dernier, mais il aurait fallu qu’on écoute les réponses. À un an des élections fédérales, on a plutôt eu droit à un dialogue de sourds fortement teinté de partisaner­ie, en particulie­r du côté conservate­ur. Peu soucieux de leur crédibilit­é, ils ont demandé l’impossible, comme des prévisions d’arrivées irrégulièr­es pour les cinq prochaines années et la transforma­tion des 9000 km de frontières en port d’entrée géant. Et ils n’ont cessé de parler de « migrants illégaux », à dessein.

L’expression « migration irrégulièr­e » est plus juste dans le cas de demandeurs d’asile. Tout migrant qui franchit la frontière en évitant un port d’entrée se voit coller un constat d’infraction, mais s’il fait une demande d’asile, ce constat est suspendu le temps qu’on détermine son statut. S’il est refusé, le constat est rétabli et la procédure de renvoi, activée. Si, par contre, il est accepté, le constat est effacé. Ce n’est pas un truc libéral. La convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés et la Loi canadienne sur l’immigratio­n et la protection des réfugiés l’exigent. On ne peut retenir contre une personne fuyant la persécutio­n d’avoir recours à des moyens détournés pour y échapper. Cette exigence est dans la loi depuis des décennies, y compris dans la dernière version adoptée par les conservate­urs en 2012.

Les libéraux ont raison de corriger les mensonges et les erreurs de l’opposition et de défendre la tradition d’accueil du Canada. Malheureus­ement, eux aussi se laissent porter par leurs considérat­ions partisanes en ne prenant pratiqueme­nt jamais au sérieux certaines questions plus pertinente­s des conservate­urs. Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, fait exception, mais le ministre de l’immigratio­n, Ahmed Hussen, et le premier ministre, Justin Trudeau, ratent rarement une occasion d’accuser les conservate­urs d’« attiser la peur et la division » ou même de chercher à « monter une communauté de Néo-canadiens contre une autre ».

Pour se démarquer de leurs adversaire­s, les libéraux ne s’en tiennent plus aux faits et à un message positif, comme ils l’ont fait face au président américain, Donald Trump ; ils sentent le besoin de tout souligner au crayon gras. Ce choix purement électorali­ste, qui ne fait rien pour calmer le ton du débat, joue aussi sur la peur. Mais pour convaincre qui ? Et aider qui ?

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