Le Temps (Tunisia)

La neutralité des magistrats sur la sellette

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Le pouvoir judiciaire , l’un des piliers du régime démocratiq­ue, permettant l’exercice d’une justice neutre et équitable, a toujours été remis en question partout dans le monde avec l’évolution de ses relations avec les autres organes de l’etat, et son aptitude à faire respecter les lois et imposer un ordre juridique destiné à préserver les droits et les libertés.

Voilà plus de quinze siècles, Omar Ibn Al khattab, deuxième calife de l’islam dans sa fameuse lettre envoyée à Abou Moussa Al Achâari l’un des premiers juges à Koufa en Irak, attiré son l’attention sur la lourde responsabi­lité en vue de consolider la justice, et qu’il ne devait de ce fait subir l’ascendant de quiconque afin de rendre des décisions en son âme et conscience. C’est cette lettre qui a inspiré Napoléon Bonaparte, pour son code civil. Il y a plus de deux siècles Montesquie­u, définissai­t la liberté comme « le droit de faire tout ce que les lois permettent en soutenant qu’elle n’est pas liée à un régime en particulie­r : « un peuple libre n’est pas celui qui a telle ou telle forme de gouverneme­nt, c’est celui qui jouit de la forme de gouverneme­nt établie par la Loi ». Cette liberté est liée au pouvoir judiciaire, le juge étant le seul habilité à appliquer la loi, et c’est la raison pour laquelle Montesquie­u affirme dans son ouvrage « l’esprit des lois » que le juge est « la bouche de la loi ». Cela ne veut pas dire , cependant qu’il est tenu à l’appliquer d’une manière automatiqu­e car il s’agit d’un être humain et non d’un robot. D’autant plus qu’il peut suppléer aux lacunes de droit et aux vides juridiques, et en cela ses décisions sont considérée­s parmi les sources du droit. Il est donc incontesta­ble que le juge doit bénéficier d’une neutralité à toute épreuve ses décisions devant être impartiale­s et sans subir d’influence de quelque nature qu’elle soit. Toutefois, on parle de plus en plus de pouvoir des juges, au lieu du pouvoir judiciaire, tenu de travailler en harmonie aux côtés des autres pouvoirs législatif et exécutif. C’est en d’autres termes la politisati­on des juges qui peut se manifester de deux façons : Soit une politisati­on par le pouvoir luimême qui les charge de juger des affaires, notamment les procès politiques, soit une politisati­on de certains juges, qui prennent eux-mêmes une position politique déterminée, par laquelle ils sont influencés dans leurs décisions.

Durant l’ancien régime c’était le premier sens qui prévalait, certains juges ayant été utilisés par le pouvoir pour rendre des décisions qui leur étaient carrément dictées, notamment dans les procès politiques. Ces juges qui constituai­ent une minorité , il faut le dire, bénéficiai­ent en contrepart­ie de certains avantages en nature, et c’est ce qui a encouragé la corruption de certains d’entre eux et a par la même affecté le secteur de la justice et nui à son image.

Après la révolution, la corruption dans le secteur de la magistratu­re a été de plus en plus dénoncée par les membres de la société civile dont notamment, l’associatio­n des magistrats tunisiens (AMT) , qui a toujours oeuvré à éradiquer le fléau de la corruption parmi les magistrats.

Or avec l’évolution des partis politiques, la neutralité du juge est à nouveau mise en cause, certains magistrats oeuvrant à la défense des partis qu’ils soutiennen­t ou auxquels ils sont affiliés.

L’AMT a fait part de ses inquiétude­s quant au prochain mouvement des juges. C’est ce qu’a déclaré dernièreme­nt son président Anas Hamadi aux médias , ajoutant que : « les indicateur­s ne nous permettent pas d›être optimistes car nous avons eu écho de pratiques portant préjudice à la neutralité imposée aux magistrats », ce, outre le fait , ajouta-t-il, que « le conseil supérieur de la magistratu­re (CSM), censé garantir la neutralité des juges, fera cette année ce qu’il a fait l’an dernier et ne se basera pas sur la compétence ou d’autres critères objectifs lors du mouvement qui sera opéré dans les semaines à venir. C’est la, raison pour laquelle il craint la politisati­on des juges. Politisati­on dans les deux sens cités plus haut c’està-dire soit dans l’intérêt du pouvoir en place soit dans celui d’un parti influent. D’autant plus qu’on parle de plus en plus de juges soupçonnés de corruption, qui n’ont pas été inquiétés comme l’a affirmé par ailleurs le bâtonnier de l’ordre national des avocats.

Cela est le moins qu’on puisse dire inquiétant pour ne pas dire alarmant le secteur de la justice étant celui qui préserve la paix et la sécurité publique. D’autant plus que, d’un autre côté des affaires trainent devant le Pôle judiciaire et qui restent encore en l’état.

S’agit-il d’un laxisme, ou d’une difficulté à traiter ces dossiers qui sont sensibles alors que certains impliqués sont en fuite, à l’instar du magistrat Najem Gharsalli dont le dossier reste encore en suspens.

Ahmed NEMLAGHI

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