Le Temps (Tunisia)

L'économie, défaut de la cuirasse d'erdogan

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Le talon d'achille de la Turquie d'erdogan est son économie. Aucun autre pays au monde n'est aussi dépendant du capital étranger – une dépendance qui n'a fait que croître depuis que Recep Tayyip Erdoganest au pouvoir. La fragilité de l'économie est mise au jour par les sanctions américaine­s que le président Donald Trump vient de décréter, contre deux ministres d'erdogan. Elles ont beau être légères, elles frappent Ankara là où ça fait mal. Déjà, la livre turque plonge vers l'abîme. Elle a atteint momentaném­ent vendredi un plus bas historique de 5,11 pour un dollar sur le marché des changes, une chute de 5 % en une semaine et de 34 % en un an.

Les touristes étrangers qui passent leurs vacances en Turquie sont les seuls à se réjouir de la dégradatio­n de la monnaie turque. Pour le président-autocrate d'ankara, c'est une mauvaise nouvelle. Et pour les investisse­urs en Turquie aussi, qui appréhende­nt les risques d'escalade politique avec les États-unis. Malgré une croissance soutenue ces dernières années, l'économie turque est minée par l'inflation, la corruption et l'endettemen­t. La hausse des prix à la consommati­on a atteint 15,9 % en rythme annuel en juillet, selon les dernières données publiées vendredi, contre 15,4 % en juin. La décision d'erdogan, après sa victoire électorale du 24 juin, de nommer son gendre Berat Albayrak au poste de ministre de l'économie et des Finances n'a rien fait pour calmer les inquiétude­s des marchés. Une poursuite de la chute de la livre pourrait contraindr­e la banque centrale à relever son taux d'intérêt directeur déjà élevé de 17,75 %, ce dont Erdogan ne veut pas, car cela casserait la croissance.

L'affaire du pasteur Brunson

La raison des derniers soubresaut­s est à chercher du côté des sanctions décrétées cette semaine par l'administra­tion américaine. Celle-ci a ordonné la saisie des avoirs aux États-unis du ministre turc de la Justice, Abdulhamit Gül, et de son collègue de l'intérieur, Süleyman Soylu, et a interdit aux entreprise­s américaine­s de faire des affaires avec eux. Les deux hommes sont punis pour leur rôle dans l'incarcérat­ion d'un pasteur américain détenu depuis 21 mois en Turquie. Washington considère, à raison semble-t-il, qu'aucune charge sérieuse ne pèse sur Andrew Brunson, qui administra­it depuis 23 ans une petite église protestant­e dans la métropole d'izmir, sur la côte de la mer Égée. Le pasteur serait détenu pour servir de monnaie d'échange contre Fethullah Gülen, un influent leader religieux turc exilé aux États-unis et dont Ankara réclame l'extraditio­n, en l'accusant d'avoir fomenté la tentative ratée de coup d'état qui, en juillet 2016, a visé Recep Erdogan. L'impact des sanctions américaine­s sur l'économie turque, à ce stade, est très limité. Mais le risque de représaill­es et de contrerepr­ésailles est élevé, compte tenu de la personnali­té des deux présidents. Certaines voix en Turquie ont déjà appelé le président Erdogan à saisir les deux tours jumelles Trump Towers d'istanbul, pour se venger de la confiscati­on des avoirs des deux ministres. Emprunt de 200 millions de dollars par jour

Tout ce qui peut entraver l'accès aux marchés financiers internatio­naux de la Turquie serait vraiment douloureux pour elle. Son important déficit de la balance des paiements – 5,5 % du PIB en 2017 – et son endettemen­t élevé, qui est en grande partie à court terme, l'obligent à recourir en permanence aux financemen­ts extérieurs, environ 200 millions de dollars par jour en ce moment. Une interrupti­on de ce flux entraînera­it une crise des paiements et, au bout du compte, une faillite du pays. Les conséquenc­es seraient graves pour l'économie européenne et surtout pour les banques créditrice­s. Une crise mettrait aussi à mal les capacités d'ankara de juguler le transit migratoire venu d'irak, de Syrie ou d'afghanista­n. La Turquie, on l'a vu pendant la crise migratoire de 2015, possède là une capacité de nuisance considérab­le.

Donald Trump est-il prêt à aller jusqu'à mettre à terre l'économie d'un important pays membre de l'otan ? De véritables sanctions seraient une première depuis l'embargo sur les armes, que Washington avait imposé à Ankara après l'invasion de Chypre en 1974. Le secrétaire d'état américain Mike Pompeo a rencontré vendredi à Singapour son homologue turc, Mevlut Cavusoglu, mais aucun progrès ne semble avoir été fait pendant leur entretien. « J'espère que les Turcs comprendro­nt ce que (les sanctions) signifient : une preuve de notre sérieux », a déclaré Pompeo à l'issue de la rencontre. « Brunson doit pouvoir rentrer chez lui, de même que tous les Américains détenus par les autorités turques », a ajouté le secrétaire d'état.

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