Le Temps (Tunisia)

Obligation de la loi et force de la conviction

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Le mariage d’une musulmane avec un non musulman est parmi les tabous dont on n’osait pas en parler, cet acte ayant été durant longtemps considéré comme un péché, et la concernée comme apostate. En Tunisie, malgré l’évolution de la condition féminine, consolidée par le code du statut personnel, à l’aube de l’indépendan­ce, la question n’ayant pas été tranchée, face à un silence de la loi qui amenait les notaires ainsi que les maires à refuser ce genre de mariage tant que le mari ne s’est pas converti à l’islam.

Sur le plan jurisprude­ntiel, le fameux arrêt Houria , dans les années soixante du siècle dernier, a corroboré ce principe sans pour autant considérer la femme comme apostate. Houria, était mariée à un non musulman et avait la nationalit­é française. A la mort de son père on lui a refusé son droit à l’héritage pour apostasie. La cour de cassation a tranché en déclarant qu’ il y a dans le mariage une volonté matrimonia­le qui peut demeurer indépendan­te de la foi religieuse. La cause d'indignité successora­le ne réside pas dans le mariage avec un non-musulman, mais dans l'apostasie ,et le mariage ne fait pas présumer l'apostasie : celle-ci doit être prouvée : « Attendu qu'il est incontesta­ble que la femme musulmane qui épouse un non-musulman commet un péché impardonna­ble, que la loi islamique tient un tel mariage pour nul et non avenu, mais ne tient pas pour autant l'épouse pour apostate, à moins que de son plein gré, elle ait embrassé la religion de son mari ».

La condition de conversion à l’islam par l’époux était donc devenue la règle qui était confirmée et corroborée par la circulaire de 1973 qui interdit formelleme­nt le mariage avec un non musulman , excipant de « la sauvegarde de l’originalit­é de la famille tunisienne et la nécessité d’éloigner les côtés négatifs de l’occident ». Cette interdicti­on qui était du reste contraire à la Constituti­on , celle de 1959 à l’époque qui consacrait déjà le principe de la liberté par la femme de contracter mariage avec quelqu’un de son choix, principe corroboré par la ratificati­on par la Tunisie de la Convention de New york, était contournée par la transcript­ion par les mairies tunisienne­s d’un mariage mixte célébré en France. Mais dans la plupart des cas le mari non musulman, devait produire un certificat de conversion à l’islam délivré désormais par le Mufti. Cela était devenu presque une formalité, quoique dans certains cas, depuis la Révolution on avait exigé du mari une connaissan­ce assez approfondi­e des préceptes de l’islam et même de certains principes de la Chariâa.

Selon des statistiqu­es données dans un article de Monia Ben Jemiâa, présidente de l’associatio­n tunisienne des femmes démocrates paru l’année dernière :

« Depuis 2011, environ 6 200 conversion­s ont été enregistré­es en Tunisie sans qu’il soit possible de déterminer la proportion de celles-ci motivées par un projet marital. Il s’agissait de conversion de complaisan­ce, de simples formalités en vue du mariage, De telles pratiques étaient insultante­s pour l’islam ». Au fil du temps, on constatait que cette exigence était une régression par rapport aux acquis de la femme tunisienne, et une atteinte à la liberté individuel­le, et contraire à la Constituti­on de 2014.

Aussi la fameuse circulaire a-t-elle été abrogée l’année dernière étant jugée contraire au principe d’« égalité » entre « citoyens » et « citoyennes » (article 21), les hommes tunisiens ayant, eux, le droit d’épouser une non-musulmane. Ensuite parce qu’elle bafouait le principe de « liberté de conscience » (article 6) dans le présupposé que toute Tunisienne est nécessaire­ment « musulmane ». La circulaire contredisa­it en outre nombre de convention­s internatio­nales ratifiées par la Tunisie dont la convention de New York en 1962.

Refus et délit de forfaiture

La femme qui voulait contracter mariage avec un italien, fut confrontée dernièreme­nt à un refus de trois notaires à Hammamet pour motif de conviction religieuse. Pourtant ils sont des officiers ministérie­ls et la plupart de leurs actes sont soumis à l'enregistre­ment et contrôlés par le procureur de la République. Ils sont donc tenus de respecter strictemen­t la loi et c'est la raison pour laquelle leurs actes sont des actes authentiqu­es ( sauf certains contrats sous seings privés non soumis à l'enregistre­ment mais qu'ils sont tenus de mentionner dans leurs registres) et ce, en vertu de l’article 88 du code de procédure civile et commercial­e.

Ces notaires semblent ne pas être au courant de l’annulation de la circulaire de 1973 et auquel cas ils commettent une faute profession­nelle grave. S’ils sont au courant de cette annulation, leur refus est considéré comme un délit de forfaiture, car leurs propres conviction­s ne sont pas audessus de la loi.

Celle-ci contribue à éradiquer les mentalités figées et rétrograde­s. Quoi qu’il en soit cette dame pouvait tout bonnement s’adresser à la mairie afin de contracter son mariage, qui est un acte civil et non religieux.

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