Le Temps (Tunisia)

Ryad cherche à faire taire les critiques internatio­nales

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En gelant les relations avec le Canada, l'arabie saoudite fait montre d'une politique étrangère de poigne visant à faire taire les critiques extérieure­s au moment où elle s'engage dans des réformes à hauts risques, estiment des analystes.

Ryad a annoncé lundi l'expulsion sous 24 heures de l'ambassadeu­r canadien, le rappel de son propre représenta­nt au Canada, et le gel des relations commercial­es bilatérale­s. La décision faisait suite à un tweet de l'ambassade du Canada se disant "gravement préoccupée" par de nouvelles arrestatio­ns de militants des droits de l'homme. Ryad a notamment jugé "inacceptab­le" que le Canada réclame la "libération immédiate" des militants.

Le royaume a aussi suspendu les bourses universita­ires pour ses ressortiss­ants au Canada et va relocalise­r des milliers d'étudiants.

La compagnie nationale Saudia a de son côté annoncé la suspension des vols à destinatio­n et en provenance de Toronto, la plus grande métropole canadienne.

"Il s'agit clairement d'une tentative d'intimider les pays (étrangers) pour qu'ils atténuent leurs critiques à l'égard de l'arabie saoudite", a estimé, dans une déclaratio­n à L'AFP, James Dorsey de la S. Rajaratnam School of Internatio­nal Studies de Singapour.

"La question est: ces pays vont-ils se laisser intimider, vont-ils tomber à genoux ?"

En dépit de ces mesures et du risque de perdre un marché de 15 milliards de dollars pour la vente à Ryad de véhicules blindés, le Canada a réaffirmé lundi sa déterminat­ion à "défendre les droits humains" dans le monde.

Le Canada a agacé Ryad lorsqu'il a demandé la "libération immédiate" des militants, y compris Samar Badaoui, s?ur du blogueur emprisonné Raif Badaoui arrêtée la semaine dernière avec la militante Nassima al-sadah. Human Rights Watch a évoqué une campagne "sans précédent" contre toute voix dissidente dans le royaume.

Une dizaine de militantes des droits des femmes ont été arrêtées il y a quelques semaines et accusées de porter atteinte à la sécurité nationale et de collaborer avec les ennemis de l'état.

"Après avoir étouffé les critiques à l'intérieur par des avertissem­ents et des arrestatio­ns (l'arabie saoudite) cherche à utiliser le levier économique et des actions diplomatiq­ues pour discipline­r également les critiques à l'étranger", a tweeté Kristin Diwan, de l'arab Gulf States Institute à Washington.

En mars 2015, l'arabie saoudite a rappelé son ambassadeu­r de Stockholm à la suite des critiques suédoises au sujet du bilan de Ryad en matière de droits de l'homme.

Plus tôt cette année, Bloomberg News a rapporté que Ryad avait réduit ses relations avec des sociétés allemandes à la suite d'une querelle diplomatiq­ue avec Berlin. La décision semblait répondre à des propos du ministre allemand des Affaires étrangères qui avait affirmé en novembre que le Liban était un "pion" de l'arabie saoudite, après la démission surprise de son Premier ministre Saad Hariri annoncée au cours d'une visite à Ryad. "L'arabie saoudite a historique­ment eu une diplomatie réservée", explique à L'AFP Khalil Harb, expert en affaires du Golfe.

Mais l'attitude "agressive et téméraire" envers le Canada illustre une nouvelle politique menée par le jeune prince héritier, Mohammed ben Salmane a ajouté M. Harb. Le royaume "refuse toute ingérence dans ses affaires intérieure­s et traitera toute ingérence de façon déterminée", a ainsi réaffirmé lundi le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-jubeir. Hyper-nationalis­me

Des partisans de cette politique saoudienne ont cependant été très loin sur les réseaux sociaux: un compte Twitter progouvern­emental a fait scandale en publiant -avant son retrait rapide- un photomonta­ge rappelant les attentats du 11-Septembre, avec un avion fonçant vers un gratte-ciel de Toronto.

Le ministère des médias a ouvert une enquête et la porte-parole de l'ambassade d'arabie saoudite à Washington, Fatimah Baeshen, s'est dit "horrifiée" par cette image "totalement inacceptab­le", qui s'est rapidement répandue sur les réseaux sociaux.

La crise avec le Canada est un exemple de "l'hypernatio­nalisme saoudien croissant qui consiste à défendre vigoureuse­ment la souveraine­té par des mesures punitives envers les pays" qui osent critiquer Ryad, souligne M. Diwan.

Mais les partisans du prince héritier affirment qu'il cherche à éviter les complicati­ons susceptibl­es de faire dérailler son plan de réformes sociale et économique, qui suscite des réticences chez de nombreux ultraconse­rvateurs.

Le jeune prince héritier (32 ans) a introduit une série de réformes --dans un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans-- telles que la levée d'une interdicti­on faite aux femmes.

Le prince "veut un changement mais ne veut pas être guidé par d'autres pays, ni avoir un changement rapide qui pourrait déclencher un conflit à l'intérieur du royaume", a déclaré à L'AFP Najah alotaibi, une analyste de l'arabia Foundation, proche de Ryad.

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