Le Temps (Tunisia)

Elle a bon dos la Chariâa !

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Parler des droits des femmes est très hasardeux car cela peut paraître ségrégatio­nniste ou sexiste, étant donné que toutes les personnes sont égales devant la loi, sans aucune distinctio­n de quelque nature qu’elle soit. Toutefois ce qui a amené la femme à revendique­r ses droits au même titre que l’homme, c’est le fait qu’elle fut pendant longtemps défavorisé­e, dans la plupart des civilisati­ons anciennes, ou celles qui sont suivi héritant des anciens us et coutumes qui ont exercé une grande influence sur les mentalités et la conception sexiste qui s’est renforcée et perpétuée au fil du temps, un peu partout dans le monde.

Dans les civilisati­ons grecques ou romaines, la femme était spoliée de ses droits. Chez les arabes anciens, durant la période antéislami­que la place de la femme était plus ou moins importante selon les tribus, dont les matriarcal­es où la femme était polyandre, et pouvait donc avoir plusieurs époux qu’elle était en mesure de répudier à sa guise. L’islam avait pour but entre autre autres de doter la femme d’un statut régissant ses droits et des devoirs au sein de la cellule familiale. La Chariâa a évolué depuis l’aube de l’islam et à un moment donné, notamment sous le Calife Omar Ibn Al Khattab, qui avait décrété que la femme pouvait demander le divorce si le mari lui faisait subir des exactions.

Au fil du temps, certains théologien­s ont interprété la Chariâa à leur guise pour déposséder la femme des acquis qu’elle a eus à l’aube de l’islam. Pourtant durant cette période, le Prophète permettait aux femmes de dénoncer les exactions dont elles pouvaient faire l’objet ou même de refuser un mari même pour des problèmes d’incapacité qu’une femme est venue lui exposer à la mosquée, et qu’il écouta avec toute l’attention d’un prophète sage et avertie.

Le problème de l’héritage, s’est posé dès la mort du Prophète avec sa fille Fatma venue réclamer sa part au calife Aboubaker, qui la repoussa en arguant que le Prophète a recommandé que tout son patrimoine est destiné à la caisse de la communauté « Beit Mel El Muslimin », ce qui créa un fâcheux précédent dans l’histoire des califes et marqua le début de la discorde entre Musulmans .

Dès lors dans toutes les sociétés musulmanes le problème de la femme était lié à celui de la différence d’interpréta­tion de la Chariâa selon l’appartenan­ce des ulémas aux rites religieux, qui sont au nombre de quatre.

En Tunisie le plus dominant est le rite malékite. Le rite hanéfite ayant été introduit avec l’occupation turque. Comme dans le reste des pays musulmans la condition de la femme était subordonné­e à l’interpréta­tion de la Chariâa, par les différents ulémas dont la plupart faisaient montre de misogynie, reléguant la femme au bas de l’échelle sociale, son rôle étant leur interpréta­tion des préceptes coraniques, se limitant à procréer, élever ses progénitur­es et satisfaire tous les besoins du mari qui était le chef de famille, incontesté et incontesta­ble. Il pouvait de ce fait, répudier et épouser autant de femmes qu’il lui plaisait, toujours au nom de la chariâa.

Les féministes qui avaient critiqué cette situation déplorable, dont Quacem Amin En Egypte au début du siècle dernier, puis Tahar Haddad vers les années trente de ce même siècle, étaient mis à l’index par les réactionna­ires et les obscuranti­stes et taxés de mécréants voire d’apostats. Or l’égalité de droits entre tous les citoyens est préconisé par la Chariâa , et ce, en vertu de plusieurs versets du Coran, dont il est la source fondamenta­le. «Ô hommes ! Nous vous avons créés d›un mâle et d›une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous connaissie­z. Le plus noble d’entre vous, auprès d’allah, est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand-connaisseu­r. »

Il n’y a donc aucune ségrégatio­n ni sexisme selon la Chariâa qui fait de tous les humains des êtres égaux. L’égalité entre les deux sexes va de soi.

Le problème qui s’est posé à l’aube de l’indépendan­ce concernait notamment la polygamie. Il fut formelleme­nt interdit en vertu du code du statut personnel dans son article 18. Cela a été au départ dénoncé comme étant contraire aux préceptes coraniques. Or selon ces mêmes préceptes il est énoncé qu’il est indispensa­ble d’être équitable envers toutes ses femmes, et dans une autre sourate il est énoncé : « Vous ne pourrez jamais être équitable entre vos femmes, même si vous en êtes soucieux. Ne vous penchez pas tout à fait vers l’une d’elles, au point de laisser l’autre comme en suspens. Mais si vous vous réconcilie­z et vous êtes pieux... donc Allah est, certes, Pardonneur et Miséricord­ieux » (Sourate An-nour –V.129).

Les cheikhs qui ont fait partie de la commission qui avait mis au point le code du statut personnel , et qui devaient veiller à ce qu’il ne contrevien­ne pas à la Chariâa avaient interprété ce verset en faveur de l’interdicti­on de la polygamie. A l’époque on n’osait pas aller plus loin, et cela n’a pas empêché certains cheikhs réactionna­ires et obscuranti­stes à critiquer cette interdicti­on.

Depuis bien de l’eau a coulé sous les ponts, et la condition de la femme ayant bien évolué, il est tout à fait logique de consolider davantage cette égalité femme/homme, en Tunisie postrévolu­tionnaire, qui est dotée d’une nouvelle Constituti­on, consacrant cette égalité en droit et en devoir, entre tous les citoyens. D’où le rapport de la Commission des libertés individuel­les et de l’égalité (COLIBE) qui entre autres points a posé celui de l’égalité des parts d’héritage entre les deux sexes. C’est une question qui a posé tant d’animosités alors qu’il s’agit d’une suggestion qui peut être discutée et formulée par une loi qui préserve les droits des deux sexes sans pour autant porter atteinte à la Chariâa. D’autant plus que cette recommanda­tion coranique, peut être suivie avec le consenteme­nt des ayants droit à un partage égal, sans pour autant commettre de pêché ou de blasphème.

Toutefois ce n’est qu’avec le dialogue qu’on peut arriver à un résultat positif, afin d’éviter les surenchère­s pratiquées par ceux dont le but est de semer la zizanie, et non de préserver l’intérêt général. La Chariâa n’est pas quelque chose de figé bien au contraire, et il est incité dans sa source fondamenta­le qu’est le saint Coran, d’interpréte­r ses commandeme­nts à bon escient.

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