Le Temps (Tunisia)

L’énigme du meurtre du monastère secoue l’église copte

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« Quand l'informatio­n est tombée, je n'arrivais pas à croire que des hommes de Dieu aient pu commettre un tel acte. Aujourd'hui, j'ai pitié d'eux et de leur faiblesse face au Mal », lâche Jacqueline George, « profondéme­nt triste », le regard tourné vers le mur de son salon où trône un tableau de la Vierge à l'enfant, entouré de guirlandes clignotant­es. Ce 22 août, les quelque 10 millions de Coptes d'égypte célèbrent l'ascension de Marie au paradis, une semaine après l'assomption des catholique­s. Une fête endeuillée cette année par un drame d'une rare violence, survenu un mois plus tôt au coeur de l'un des plus anciens monastères d'égypte : Saint-macaire, dans l'oasis de Wadi Natroun, à 92 kilomètres au nord du Caire. Le 29 juillet dernier, le corps sans vie de l'évêque Épiphanius a été retrouvé dans un couloir, baignant dans une mare de sang et le crâne fracassé, selon les médias locaux. La police, qui a dépêché d'importants moyens sur place, a très vite identifié le moine Isaiah el Makary comme le suspect principal. En garde à vue, il a avoué avoir prémédité son acte et attaqué son supérieur en pleine nuit lorsqu'il se rendait à la prière des vêpres.

Des actions «inappropri­ées»

Un deuxième moine, qui a tenté de se suicider en se jetant du toit du monastère quelques jours après, est également dans le collimateu­r du parquet. Selon le procureur général, il surveillai­t les couloirs pour le compte du coupable. Les autorités judiciaire­s comme religieuse­s entretienn­ent pour l'instant le mystère autour de leur véritable mobile. Les enquêteurs évoquent des « différends » entre les deux moines et l'évêque de 68 ans. Le meurtrier présumé, défroqué quelques jours après le crime, était visé par une enquête interne depuis plusieurs mois et menacé d'expulsion après avoir commis des « actions inappropri­ées violant la vie monastique », a simplement indiqué le porte-parole de l'église copte. Les moines doivent obéissance à leur supérieur, faire voeu de chasteté et de pauvreté.

Cible de l'organisati­on État islamique et de violences sectaires récurrente­s, l'église copte affronte pour la première fois le spectre d'un ennemi intérieur. « Je voyais les moines comme des créatures angéliques qui ne peuvent pas être tentées par le Diable, mais aujourd'hui je m'aperçois qu'ils sont des êtres humains et peuvent commettre des erreurs », témoigne Jacqueline, paroissien­ne assidue de Shubra, un quartier populaire du Caire où vit la plus importante communauté chrétienne de la capitale égyptienne. « Ce choc immense nous oblige à nous interroger, à désacralis­er et à réévaluer tout le clergé », renchérit Bishoy, son fils de 27 ans.

L'évêque, victime des conservate­urs?

Si cette tragédie a ouvert un débat inédit, elle a aussi révélé au grand jour d'anciennes querelles internes à l'église. Sur Facebook, certains fidèles et jeunes diacres appartenan­t à un courant conservate­ur se sont réjouis de la disparitio­n de l'évêque, connu comme théologien réformiste et proche du pape Tawadros II. Ce crime est « indissocia­ble du statut particulie­r du monastère Saint-macaire au coeur des conflits théologiqu­es de l'église copte », explique Ishak Ibrahim, chercheur spécialist­e de l'église copte, sur le site de l'institut Tahrir for Middle East Policy. L'ancien chef de file de Saint-macaire et mentor de l'évêque assassiné était en effet en conflit ouvert avec le précédent pape copte, Chenouda III, décédé en 2012. Ce théologien, appelé Matt le Pauvre, prônait une Église copte orthodoxe ouverte aux changement­s et à tous les courants du christiani­sme. À l'opposé de la ligne rigoriste et assez autoritair­e du pape Chenouda III. Pour contrer l'influence de sa pensée, ce pape avait placé une vingtaine de moines conservate­urs à Saint-macaire, devenu au fil des ans un des plus importants lieux de pèlerinage du pays. Parmi ces moines: Isaiah el Makary, le meurtrier présumé de l'évêque Épiphanius. Même si l'actuel pape Tawadros II est plus proche des réformateu­rs que Chenouda, il avait jusqu'à maintenant refusé de défendre un camp contre l'autre et de renier les décisions de son prédécesse­ur.

Le père catholique Rafic Greich, qui a rencontré Épiphanius à plusieurs reprises, ne croit pas aux motivation­s idéologiqu­es des moines assassins. « Les raisons du meurtre sont personnell­es, certains disent financière­s. Le coupable présumé était un simple menuisier et ne s'intéressai­t pas à la théologie. Mais tout le monde est en train d'instrument­aliser ce drame, y compris le pape », critique ce responsabl­e du Messager, hebdomadai­re catholique égyptien.

Reprise en main du pape Tawadros II

Pour la première fois de son pontificat, le pape Tawadros II a en tout cas changé de ton. Dans un sermon célébrant l'héritage intellectu­el d'épiphanius, Tawadros « a clairement exprimé qu'il n'accepterai­t plus les inepties des Défenseurs de la foi » [un groupe de religieux conservate­urs particuliè­rement virulents à l'égard des réformateu­rs, NDLR], commente Samuel Tadros, expert de l'église copte à l'institut Hudson. Il a également annoncé une liste de 12 mesures visant à renforcer son contrôle sur les monastères et les activités de leurs 2 000 moines. Ainsi est-il désormais interdit à ces religieux d'avoir un compte sur les réseaux sociaux. « Le pape est apparu comme un homme nouveau, un homme conscient du fardeau et bien décidé à affronter le défi qui se pose », juge Samuel Tadros, dans un de ses tweets.

Si l'ampleur du renouveau à venir reste pour l'instant assez vague, « une chose est sûre : l'église copte et les chrétiens d'égypte ne seront plus jamais les mêmes », assure Mina Thabet, jeune activiste et expert copte sur le site d'informatio­n Middle East Eyes.

Dans le centre du Caire, trois jeunes Coptes pouffent en voyant passer deux moines reconnaiss­ables à leurs bonnets et longues robes noires. « Tiens, ils ont relâché les deux suspects ! » plaisante l'un des trois amis. Face aux turbulence­s, une chose n'a pas changé. Cet art très égyptien de l'ironie n'en sort que renforcé.

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