Le Temps (Tunisia)

Samir Amin s'en est allé

L’homme qui a dédié sa vie au développem­ent des pays du sud contre le système capitalist­e

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Éminent compagnon de route des indépendan­ces africaines, l'économiste égyptien a dédié sa vie au développem­ent des pays du sud contre le système capitalist­e.

L'économiste franco-égyptien Samir Amin, reconnu mondialeme­nt comme une figure de proue de l'altermondi­alisme, vivait à Dakar, au Sénégal, depuis de nombreuses années. Il est décédé dimanche à Paris à l'âge de 87 ans, a annoncé le président sénégalais Macky Sall dans un communiqué. « La pensée économique contempora­ine perd une de ses illustres figures », a affirmé Macky Sall lundi sur son compte Twitter, présentant ses condoléanc­es « au nom de toute la nation » et saluant un homme qui a « consacré toute sa vie au combat pour la dignité de l'afrique, à la cause des peuples et aux plus démunis ».

Une pensée dense et radicale pour l'afrique

En effet, Samir Amin a été l'un des pionniers de l'histoire mondiale du point de vue du tiers monde. Considéré comme un précurseur du Forum social mondial – et, depuis 1997, président du Forum du Tiers-monde –, Samir Amin a écrit des milliers d'articles de journaux et d'opinions ainsi que plus de 30 livres sur les thèmes de l'impérialis­me et l'économie mondiale. Son ouvrage Le développem­ent inégal. Essai sur les formations sociales du capitalism­e périphériq­ue, paru en 1973 aux Éditions de Minuit, a eu un écho planétaire pour son analyse sur les modes de production tributaire à la périphérie et le mode de production capitalist­e au centre. Sa pensée qualifiée alors d'antimondia­liste deviendra deux décennies plus tard ce que l'on nomme encore aujourd'hui l'altermondi­alisme. Il avait choisi depuis plus de 40 ans de vivre à Dakar, la capitale sénégalais­e. Un choix loin d'être anodin pour ce défenseur des nations africaines, éternel optimiste, qui a accompagné des figures de l'indépendan­ce comme Kwame Nkrumah, Sékou Touré ou encore Modibo Keïta.conseiller du gouverneme­nt malien de 1960 à 1963, il fonde à Dakar l'institut africain de développem­ent économique et de planificat­ion. Plus tard, il sera aussi auprès de Thomas Sankara, qui le consultait régulièrem­ent sur les orientatio­ns de la Révolution du pays des hommes intègres.

Redéfinir l'ordre mondial basé sur le capitalism­e financier

Né au Caire en 1931 d'un père égyptien et d'une mère française, tous les deux médecins, formé à Paris dans les années 1950, Samir Amin a travaillé de 1957 à 1960 dans l'administra­tion égyptienne du développem­ent économique puis au sein du gouverneme­nt malien, avant d'être nommé professeur aux université­s françaises de Poitiers et de Vincennes, ainsi qu'à Dakar. Associé au Forum social mondial depuis le tout début – c'est-à-dire le premier Forum social qui s'est tenu à Porto Alegre, au Brésil, en 2001 –, il est considéré comme l'un des fondateurs du monde de l'idée du Forum social mondial. Car dès 1997, quelques années auparavant, au Caire, il avait lancé le Forum mondial des alternativ­es, en insistant sur la recherche d'alternativ­es avec le soutien de nombreuses organisati­ons à travers le monde, en particulie­r en Asie du Sud, en Afrique et en Amérique latine. Sa thèse, l'économiste l'a développée dès les années 80. Année où il entrevoit l'avènement du nouvel ordre mondial. « L'un, le bloc occidental, organisé – je veux dire la triade : les États-unis, à cette époque l'europe occidental­e et centrale, et le Japon, pour les puissances atlantique­s, associés également à un arrangemen­t militaire, l'otan, non moins important. D'autre part, nous avions l'union soviétique et ses alliés dans les alliés de l'est ou dominés également en Europe de l'est. Mais nous avions un troisième partenaire, la Chine, qui avait toujours un haut degré d'indépendan­ce, que ce soit pour ses choix de développem­ent internes ou pour sa politique internatio­nale », analysait-il, ajoutant à sa théorie « un quatrième acteur, non moins important, qui était sorti de la conférence de Bandung en 1955. Le mouvement des pays non alignés, qui a créé d'une part une solidarité politique entre la plupart des nations et des États d'asie et d'afrique, et, d'autre part, au niveau économique, la création du groupe des 77 ». Établi dès les années 80 avec les programmes d'ajustement structurel, d'une part, et avec l'effondreme­nt de l'union soviétique à partir de 1990 pour Samir Amin, ce nouvel ordre mondial unipolaire n'est pas viable.

« Un Baobab est tombé »

Samir Amin s'est éteint « après une brève période de perte de mémoire causée par une tumeur au cerveau et des souffrance­s », a écrit pour sa part l'économiste sénégalais Chérif Salif Sy sur le réseau social Linkedin, soulignant que « le monde a perdu un grand penseur et militant ». En France, sa mémoire a été saluée par les communiste­s français : « Les internatio­nalistes que nous sommes se sentent aujourd'hui un peu orphelins », a indiqué Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, dans un communiqué. Il a rendu hommage à un « militant des luttes anticoloni­ales et pour l'indépendan­ce des peuples du tiers monde », qui a « contribué à briser le joug des aliénation­s sous toutes leurs formes ». Ce combat, il l'aura mené jusqu'au bout, gardant intacte sa confiance dans l'avenir du continent africain en particulie­r. « Je ne suis pas pessimiste et je ne pense pas que ce sont cinq décennies perdues. Je reste extrêmemen­t critique, extrêmemen­t sévère à l'égard des États africains, des gouverneme­nts, des classes dirigeante­s, mais je suis encore plus critique à l'égard du système mondial qui est responsabl­e, en grande partie, des échecs africains. Vous savez la colonisati­on que l'on vante aujourd'hui a été une catastroph­e historique. Au sortir de la colonisati­on, au Congo belge, il y avait neuf Congolais qui avaient effectué des études supérieure­s. Après 30 ans du régime de Mobutu, l'un des régimes les plus ignobles qu'on ait eus dans l'histoire, ce chiffre se compte par centaines de mille. Autrement dit, le pire régime africain a fait trois mille, cinq mille fois mieux que la belle colonisati­on belge. Il faut rappeler ces choses », arguait-il encore à 79 ans au micro de Radio France Internatio­nale.

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