Le Temps (Tunisia)

Netanyahou enterre la solution à deux États

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Depuis 2009, année où Benjamin Netanyahou avait du bout des lèvres accepté le principe de «deux États pour deux peuples», Israël ne reparle plus du tout de la création d’un État palestinie­n. Une autre philosophi­e a été mise en oeuvre, progressiv­ement et discrèteme­nt, pour contrecarr­er cette solution inacceptab­le pour les nationalis­tes juifs et les orthodoxes religieux, membres de la coalition gouverneme­ntale.

Cette nouvelle stratégie est fondée sur la séparation définitive entre la Cisjordani­e laïque et la bande de Gaza islamiste, avec des arrières pensées politiques. Plusieurs signes avant-coureurs ont été mis en évidence depuis plusieurs années qui expliquent la tiédeur de Benjamin Netanyahou pour le processus de paix.

Neutralise­r toute velléité de réunificat­ion

Si le gouverneme­nt israélien a desserré le blocus de Gaza en permettant l’entrée de marchandis­es et de matériel civil, la bande reste toujours isolée de la Cisjordani­e pour neutralise­r toute velléité de réunificat­ion dans le cadre d’un nouvel État. Israël n’a jamais assimilé le leg qui lui a été fait, lors de l’armistice de 1949 et de la guerre de Six-jours de 1967, concernant une bande de terre surpeuplée et misérable. Israël a toujours vu ce territoire avec suspicion car la Première Intifada de 1987 a éclaté dans le camp de réfugiés de Jabālīyah. Le territoire a donc été progressiv­ement bouclé à partir de 1987 par des mesures administra­tives strictes qui ont accentué son isolement.

Ainsi en 1991, les Palestinie­ns de Gaza ne pouvaient plus se rendre librement en Cisjordani­e sans «permis général de sortie» donné avec parcimonie. En 1995, une clôture électrifié­e a été érigée pour sécuriser le sud d’israël et empêcher les infiltrati­ons de terroriste­s. Après le désengagem­ent israélien de 2005 et l’évacuation totale des implantati­ons, les ouvriers palestinie­ns n’étaient plus autorisés à se rendre ni en Israël et ni en Cisjordani­e. Sauf exceptions rares, aucun Palestinie­n ne peut plus circuler librement malgré les Accords d’oslo qui autorisaie­nt un passage protégé. En fait, la Seconde Intifada de 2000 a mis fin à cette libéralité, qui n’a jamais été rétablie.

Les Israéliens ne s’estimaient pas responsabl­es de cette séparation qui était, selon eux, le fait de l’intifada. D’ailleurs, le petit aéroport brièvement en fonction a été détruit pendant la Seconde Intifada, pour réduire l’ouverture vers l’étranger. Après la prise de contrôle de Gaza par le Hamas en 2007, Israël a verrouillé tous les points de passage. Pourtant, l’évacuation unilatéral­e de Gaza par Tsahal aurait pu être l’occasion d’un nouvel avenir pour les Palestinie­ns de la bande. Mais ils ne saisirent pas l’occasion qui leur était donnée de s’émanciper de la tutelle israélienn­e, et ils reprirent les hostilités alors qu’aucun soldat israélien n’occupait leur territoire Cela a fini par renforcer les partisans du statu quo qui figeait la situation politique. Cependant, Gaza devenait du même coup le seul territoire palestinie­n autonome, sans présence israélienn­e.

Plan de séparation

La séparation totale entre la bande de Gaza et la Cisjordani­e, devenait l’un des objectifs de la politique israélienn­e pour éviter la solution de paix préconisée par les Occidentau­x. Alors, Israël a exploité la rivalité entre le Hamas et le Fatah qui n’ont jamais réussi, malgré les nombreux accords signés, à se réunir dans un gouverneme­nt palestinie­n commun. Israël en a profité pour multiplier les blocages administra­tifs à la fois pour les Palestinie­ns et pour les résidents arabes de Jérusalem, pour bien marquer leur non-appartenan­ce à l’entité palestinie­nne. Il a refusé le droit aux Gazaouis de vivre, d'étudier et de travailler en Cisjordani­e sans son autorisati­on. Les familles n’étaient pas autorisées à se retrouver. La politique terroriste du Hamas a fait le reste tandis que l’autorité palestinie­nne prenait des mesures draconienn­es en bloquant les salaires des dizaines de milliers d'employés de Gaza. Puisque le Fatah et le Hamas ne s’entendaien­t pas, il devenait normal qu’ils se séparent. Israël a alors exploité le vide politique chez les Palestinie­ns face au refus de Mahmoud Abbas de songer à sa succession. Benjamin Netanyahou a pu ainsi mettre en applicatio­n son plan de séparation. On comprend mieux son silence durant les événements de Gaza, alors que les tirs de roquettes dans le sud du pays se multipliai­ent. Il était en pleine négociatio­n secrète avec le Hamas pour un cessez-le-feu à long terme.

Le Cabinet de sécurité s’était réuni plusieurs fois en laissant filtrer l’idée de l’imminence d’une guerre totale à Gaza, alors qu’en fait les deux parties négociaien­t sous l’égide de l’égypte. Le Premier ministre devait faire face aux exigences de sa frange nationalis­te et religieuse, qui voulaient en découdre avec le Hamas. Pour arriver à ses fins et isoler un Mahmoud Abbas intransige­ant, qui n’a fait aucune propositio­n pour débloquer le processus de paix, Netanyahou a joué à fond la carte du Hamas.

Deux voies politiques différente­s

Les islamistes ne pouvaient accepter un accord de paix de cinq années que si les conditions humanitair­es étaient améliorées à Gaza. Le premier geste d’avigdor Lieberman fut de rouvrir le passage israélien de Kerem Shalom pour les marchandis­es. Le ministre de la Défense avait en tête d’autoriser ensuite l’importatio­n et l’exportatio­n de marchandis­es de Gaza, d’augmenter la fourniture d’électricit­é et de permettre aux ouvriers de Gaza de travailler en Israël. Pour assurer une indépendan­ce de la bande, un port maritime serait construit dans la ville égyptienne d'ismaïlia ainsi qu’un aéroport et une centrale électrique au Sinaï. Un autre projet est aussi envisagé avec la création d’une île artificiel­le au large de Gaza.

Le but des deux projets est de rendre Gaza totalement indépendan­te du Fatah de Cisjordani­e. De toute façon, le Fatah laïc pouvait difficilem­ent s’entendre avec le Hamas islamique. Cette séparation leur permettra de continuer leur chemin sur deux voies politiques différente­s. Le Hamas est aussi convaincu qu’un accord pourrait permettre aux donateurs internatio­naux de financer une série de programmes, y compris la mise à niveau des réseaux d'électricit­é et d'eau à Gaza.

Les Palestinie­ns doivent cette avancée politique à leur leader incontesté qu’ils ont trouvé en la personne de Yahia Sinwar, dont la percée fulgurante au Hamas était imprévisib­le. C’est un dirigeant discret qui s’expose peu. Les mauvaises langues pensent qu’il a été trop longtemps, de 1988 à 2011, au contact des Israéliens dans sa prison et qu’il souffre du syndrome de Stockholm.

Discussion­s secrètes

Ces discussion­s secrètes entre le Hamas et Israël datent du 22 mai 2018, à l’occasion d’une visite exceptionn­elle et «secrète» de Netanyahou en Égypte, où il a discuté avec le président Sissi d’une trêve dans la bande alors qu’au même moment la situation à Gaza était au bord de l’explosion. Israël a donc mandaté le général Giora Éland, ancien chef israélien du Conseil de sécurité nationale pour expliquer le projet du gouverneme­nt qui oeuvre pour que la Cisjordani­e et la bande de Gaza soient deux entités séparées.

Puisque Mahmoud n’a pas voulu exploiter à fond les Accords d’oslo, Israël a décidé de l’isoler et de frapper le Fatah: «Le fait que Gaza et la Cisjordani­e soient une seule entité constitue un intérêt arabe. De notre côté, il vaut mieux qu’elles soient deux entités séparées. D’ailleurs nous oeuvrons vers ce sens».l’égypte trouve cette solution à son goût, car en cas de compromis définitif «Israël obtient le calme en échange de quoi le Hamas gagne une légitimité internatio­nale et obtient une aide économique, tandis que l’égypte obtient de la part du Hamas un engagement qu’il arrêtera d’aider Daech dans le nord du Sinaï».

Ce qui est certain, c’est qu’avec un accord de ce genre, il en sera fini du dogme d’un État palestinie­n indépendan­t. A la rigueur, une entité autonome pourrait surgir au sein des 40% de la Cisjordani­e qui serait cédée aux Palestinie­ns, mais cet embryon d’état ne serait pas viable et ne devrait sa survie qu’en étant adossé à la Jordanie, sous une forme à définir, sachant que le royaume est déjà peuplée par 75% de Palestinie­ns. Gaza pourra alors revenir, comme par le passé, sous juridictio­n égyptienne.

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