Le Temps (Tunisia)

Une «vérité» bonne à dire

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«La vérité sort de la bouche du cheval», premier roman de Meryem Alaoui sur les bas-fonds de la prostituti­on marocaine, est le coup de coeur de l'écrivain.

Il y a trente-huit ans, je traduisais le récit autobiogra­phie de Mohamed Choukri, Le Pain nu. À l'époque, je me disais : ce livre est une bombe. Sa carrière internatio­nale a fait de ce livre, mieux qu'une bombe, un classique.

Aujourd'hui, je lis un premier roman écrit en français par une jeune Marocaine vivant actuelleme­nt à l'étranger, Meryem Alaoui. Un roman d'une grande puissance et originalit­é. Le titre en lui-même est une bonne trouvaille : La vérité sort de la bouche du cheval. Au début, on pense que le cheval est Jmiaa, une prostituée de Casablanca qui élève seule sa fille. Son langage est direct, cru, sans ménagement, sans hypocrisie et sans effet de style. Mais elle parle avec plus de finesse qu'une jument. C'est une cinéaste que la romancière va surnommer « Bouche de cheval », car elle vient de Hollande et veut faire un film avec cette prostituée qui ne mâche pas ses mots. Le lecteur qui connaît bien le Maroc n'apprendra peut-être pas grand-chose sur le milieu de la prostituti­on et de la précarité qui touche de plus en plus de familles. Mais il est sain de nommer les choses et de détailler cette misère matérielle et psychologi­que. Jmiaa ne laisse de côté aucun petit fait de la mesquineri­e humaine. Elle ne travaille pas ni dans les palaces, ni dans des soirées pour gens friqués comme dans le film de Nabil Ayouch Much loved . Ses clients sont chauffeur de camion, flic pourri, vendeur ambulant qui pue de la bouche. Elle fait dans cette humanité misérable qui existe et qu'on n'aime pas voir. Parfois son récit devient drôle, car elle a de l'humour et n'épargne personne, surtout pas elle-même.

Des dialogues comme des éclats de verre

Cela fait plaisir de lire un texte aussi bien enlevé, sorti des tripes d'une écrivaine excellente observatri­ce de la réalité. Jmiaa aime les chansons de Najat Aatabou et de Lhajja Hamdaouia, la bière Spéciale ou Stork, l'acteur indien Shahrukh Khan, la chanteuse libanaise Nancy Ajram, la cuisine traditionn­elle, les séries mexicaines doublées en arabe dialectal. C'est une fille du peuple. Elle monte les hommes sans commentair­es, c'est son travail, qu'elle dissimule à sa mère avec laquelle elle est toujours en contact. Son histoire est classique. Elle tombe amoureuse d'un jeune homme bien sous tous rapports, elle l'épouse contre la volonté de sa mère, il lui fait un enfant et, sous l'effet du haschich et de l'alcool, il la bat. Elle ne se laisse pas faire, rend les coups et dit ce qu'elle pense avec une franchise cruelle. Lui est un faiseur et un mythomane. Pas de travail. Alors il la cède à ses copains. Pas d'honneur, pas de dignité. Elle le jette mais elle l'aide malgré tout jusqu'à ce qu'il parte clandestin­ement en Espagne.

Ce qui est remarquabl­e dans ce roman, c'est la manière très juste avec laquelle Meryem Alaoui a recréé le milieu de la prostituti­on, avec les relations de violence entre les filles et aussi une amitié franche et dure que la situation impose. Les dialogues volent comme des éclats de verre, comme des étincelles d'un feu brutal : « Pourquoi les filles tapent des cachets ? Pourquoi tout ça ? C'est qu'il faut des couilles pour pouvoir faire ce travail. Et tout le monde ne les a pas. » Elle raconte un épisode où des hommes sont partis sans la payer. Elle se battra avec une force et une volonté admirables. Sa vie, c'est ça : la prostituti­on et ses dangers, l'injustice et la pauvreté, la boisson et la violence. Elle ne se laisse pas aller, ne cède sur rien. Elle fait son boulot parce qu'elle a une fille à élever, à éduquer. Pas de mièvrerie, pas de larmes inutiles, pas de plainte. Son destin est entre ses mains et elle sait qu'elle devra soulever sa djellabah plusieurs fois par jour pour vivre.

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