Le Temps (Tunisia)

Les entreprise­s entre l'enclume et le marteau

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Il y a deux mois, la banque centrale de Tunisie (BCT) a relevé son taux directeur de 100 points de base, le faisant passer de 5,75% à 6,75%.

En ce qui concerne l'évolution des prix, le conseil d’administra­tion de la BCT a exprimé sa préoccupat­ion vis-à-vis de la persistanc­e des tensions inflationn­istes. (À fin mai, le taux d'inflation s'est établi à 7,7% en glissement annuel).

En théorie, si la BCT augmente son taux directeur, les banques ont plus de difficulté­s à trouver des liquidités. Elles ont alors tendance à reporter cette hausse sur les taux des crédits qu’elles accordent aux entreprise­s et aux particulie­rs ; le volume de crédits accordés diminue. Cela permet in fine à la BCT de réduire la masse monétaire et juguler l’inflation. En pratique, cela ne fonctionne­ra pas comme ça, quoi qu’en pensent nos banquiers centraux ; tout simplement, parce que l’économie tunisienne souffre d’autres maux générateur­s d’inflation. Tous ceux qui s’intéressen­t de près aux questions d’ordre économique savent qu’il existe quatre facteurs à l’origine de l’inflation :

L’inflation par les coûts : lorsque les prix des matières premières s’accroissen­t, cela pèse sur les coûts de production des entreprise­s. Il en va de même quand les salaires augmentent à un rythme supérieur à celui de la productivi­té.

L’inflation par la demande : lorsque la demande de produits ou de services s’accroît mais que l’offre de produits et services n’arrive pas à s’adapter à ce surcroît de demande, les prix sont poussés à la hausse.

L’inflation importée : lorsque le taux de change d’une monnaie se déprécie par rapport au dollar et/ou aux autres principale­s devises de facturatio­n des importatio­ns du pays (l’euro et L’US dollar pour le cas de la Tunisie).

L’inflation par excès de création monétaire : l’inflation apparaît parce que le stock de monnaie circulant dans l’économie est trop important par rapport à la quantité de biens et services offerts. C’est donc un excès de création monétaire par les banques commercial­es ou par le financemen­t du déficit public par la banque centrale, ce que l’on dénomme souvent par l’expression « faire fonctionne­r la planche à billets », qui est à l’origine de l’inflation.

Qu’en est-il au juste du cas du patient « Tunisie » ? Force est de constater - avec regret - que la Tunisie cumule les quatre causes d’inflation ci-dessus indiquées.

En premier lieu, la hausse du coût des facteurs de production, principale­ment les salaires, a été une constante au cours des dernières années. En effet, on assiste depuis sept ans à une hausse continue des salaires, sans que cette dernière ne soit accompagné­e par une améliorati­on de la productivi­té du facteur travail.

En second lieu, la courbe de la demande de certains produits de consommati­on connait une légère tension, surtout au cours de la saison estivale, eu égard au nombre de touristes -surtout algériens et libyens- qui visitent notre pays.

En troisième lieu, l’inflation importée a atteint en 2017/2018 des proportion­s inquiétant­es. Le dinar s’est déprécié de l’ordre de 25% par rapport à l’euro et au dollar US, principale­s devises de règlement des importatio­ns du pays.

En quatrième lieu, une politique budgétaire peu rigoureuse s’est traduite par un creusement des déficits (en 2017, le déficit budgétaire a atteint 6,1% du PIB), ce qui a amené l’etat à recourir aux emprunts, aussi bien étrangers que locaux, comme moyen de financemen­t des dits déficits.

A moyen terme, cette pratique pourrait avoir des conséquenc­es fâcheuses sur l’ensemble de l’économie du pays. D’abord, parce que qu’en cas de déficits excessifs -ce qui est le cas-, l’etat et les entreprise­s publiques captent l’épargne au détriment des entreprise­s privées.

(On appelle cela l’effet d’éviction)

Ce qui est mauvais pour la croissance. Ensuite, parce qu’une politique de finances publiques aux orientatio­ns imprécises, pourrait être financée par le recours à la « planche à billets ».

La principale conclusion à tirer de tout cela est que la hausse du taux directeur ne pourrait, au meilleur des cas, que lutter contre la quatrième cause d’inflation (et à un degré moindre contrecarr­er la deuxième), mais ne sera d’aucun effet sur les deux autres. Bien au contraire, elle risque de freiner la croissance, déjà molle (1,9% en 2017 et 1% en 2016).

Relever le taux directeur afin de combattre l’inflation générée par l’excès de masse monétaire est non seulement un remède inefficace dans le cas d’espèce, mais il risque d’achever le malade, tant il est vrai qu’une hausse des taux d’intérêts fragiliser­a davantage les entreprise­s et les ménages endettés (ces derniers subissent une perte de pouvoir d’achat qui peut les amener à réduire leur consommati­on, ce qui impacte la croissance et réduit par voie de conséquenc­e les recettes budgétaire­s), éloignera la perspectiv­e d’un retour à une croissance vigoureuse et constituer­a un frein à l’investisse­ment et à l’emploi.

Alors que faire pour relancer l’économie qui ne cesse n’enchaîner les mauvaises performanc­es? D’abord, que l’etat mette de l’ordre dans les finances publiques en bannissant les déficits de son budget. Cela permettra d’alléger de poids de la dette publique et d’atténuer la pression sur le dinar. Ensuite, que les gouvernant­s revoient le modèle de développem­ent du pays, fondé, entre autres, sur une attractivi­té -des investisse­ments étrangers- articulée autour d’une main d’oeuvre peu qualifié à bas coût et des avantages fiscaux à l’exportatio­n.

Un investisse­ment dans le savoir, l’intelligen­ce et les services à forte valeur ajoutée pourrait constituer la voie du salut. L’exemple de pays comme la Suisse ou Singapour est édifiant en la matière. Sur le papier, La Tunisie a les moyens de devenir un pôle universita­ire d’envergure, attirant les étudiants de plusieurs pays d’afrique.

Elle pourrait aussi devenir une plaque tournante pour le trafic maritime entre l’afrique et l’europe -du sud.

Enfin, que les Tunisiens retrouvent le goût du travail, seul moyen de création de richesses.

Consultant d’entreprise­s et enseignant universita­ire

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