Le Temps (Tunisia)

Manipulati­ons

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Que s'est-il passé ces derniers jours en Libye, toujours écartelée entre deux courants, pour que le maréchal Haftar, qui domine l'est libyen, lance de graves menaces contre l'algérie et l'accuse d'intrusion de ses troupes ? Pour le moment, les données relatives à cette situation pour le moins embarrassa­nte pour les deux parties ne sont pas encore connues. Mais la colère côté libyen, du moins au sein de la principale force militaire qui domine une grande partie du pays, la Cyrénaïque, et surtout les villes du croissant pétrolier, est réelle.

Selon les propos du maréchal Haftar, qui a envoyé un de ses adjoints à Alger, il s'agirait d'incursion de forces militaires algérienne­s en territoire libyen. Fallait-il pour autant donner à l'affaire plus qu'elle ne le mérite ? Assurément pas, car le maréchal Haftar, qui serait un potentiel présidenti­able en Libye, a eu le réflexe de dialoguer rapidement avec les responsabl­es algériens qui l'ont d'ailleurs rassuré que l'incident est clos. Mais, certains propos de Khalifa Haftar, qui a réuni les notables des villes de l'est libyen pour les entretenir de l'incident, sur un «déplacemen­t de la guerre d'un côté à un autre» ont été vite exploités pour donner à l'incident plus d'importance qu'il ne le mérite dans le contexte politicomi­litaire actuel en Libye. Et provoquer ainsi une mini-crise politique entre les deux pays. Or, la situation actuelle en Libye, avec la réappariti­on du danger de la guerre civile et la reprise des combats dans plusieurs parties du pays, reste plus que préoccupan­te autant sur le plan politique que militaire.

Or, cette détériorat­ion de la situation intervient alors que l'agenda tracé par le chef de la mission de L'ONU pour la Libye, le Libanais Ghassan Salamé, doit aller vers des élections législativ­es et présidenti­elles avant la fin de l'année. Un processus soutenu par une vingtaine de pays, dont la France, sponsor officiel de Haftar, et il est pour le moins anachroniq­ue de parler d'une crise entre Alger et une des parties au conflit en Libye, divisée pratiqueme­nt en deux, l'est, la Cyrénaïque, dominé par Haftar, et l'ouest, la Tripolitai­ne, gouverné par Fayez Esseradj, d'ailleurs soutenu par L'ONU et la communauté internatio­nale. L'algérie est la seule et depuis le début de la crise libyenne, après la chute de Kadhafi, à avoir préconisé le dialogue politique entre toutes les forces libyennes, entre tous les Libyens, pour parvenir à une solution politique consensuel­le qui puisse ouvrir la voie à une large réconcilia­tion nationale. Cette position ferme dérange, certes. Même si on ne peut accuser Haftar, ancien opposant à Kadhafi, de faire le jeu de certaines puissances occidental­es et qu'il pourrait avoir été parmi ces milliers de «Contras» libyens entraînés à N'djamena par des agents de la CIA pour renverser le guide libyen dans les années 1990 et transférés à Fort Braggs en Caroline du Nord dans les jours qui avaient suivi la chute de Habré, on ne peut également l'absoudre de se tromper de cible, même en lançant des menaces sans lendemain, mais qui, dans le fond, obéissent à des arrière-pensées politiques évidentes. Et le chef de la diplomatie algérienne Abdelkader Messahel, qui tente de recoller les morceaux éclatés de la cohésion entre toutes les forces politiques, clans et tribus libyens, l'a bien cerné en estimant que «le processus en Libye est contrarié par trop d'agendas qui ne permettent pas à la volonté du peuple libyen d'aboutir selon la stratégie arrêtée par les Nations unies».

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