Le Temps (Tunisia)

Ceux qui restent…

- Samia HARRAR

Une blague, reprise en boucles sur les réseaux sociaux, évoque la déclaratio­n de l’italo-fasciste Salvini, concernant les causes profondes poussant les jeunes tunisiens à fuir leur pays vers l’italie : question dont il serait venu chercher la réponse intra-muros, mais qui aurait eu, pour résultat, qu’il revienne au final dans son pays, avec une autre question en guise de réponse. A savoir : mais comment se fait-il que les autres soient restés ? Cela, bien entendu, après avoir pu opérer un constat des lieux en visu. Un constat, qui aurait été sans appel, et qui n’attend pas de réponse. Mais au-delà de la blague et de ce qu’elle implique, il y a, effectivem­ent cette question, qui mérite d’être posée, et qui serait à doubles sens : pourquoi partir, pourquoi rester ? Question subsidiair­e : est-ce à dire que ceux qui restent, seraient plus patriotes que ceux qui partent, ou n’auraient-ils, tout simplement pas le choix ?

Il est facile de répondre qu’on a toujours le choix, mais ce n’est pas si simple. Et encore moins évident. Car, moult détails entrent, dans cette décision qui est arrêtée un jour, de tout chambouler pour partir. Arrêter les frais en somme, et se donner une seconde chance comme manière de second souffle, en faisant le pari de réussir, là où on aura échoué jusque-là. Comme si, la géographie, avait sa place, et elle est de taille, dans ce « jeu de rôles » d’une vie, à reconstitu­er, à reconstrui­re, à revoir autrement, en franchissa­nt une frontière, et en acceptant de laisser derrière soi, tout ce qui faisait, sa vie justement. Et qui doit peser de tout son poids dans la décision finale. Un dilemme difficile, et un pari toujours risqué quoiqu’on dise. Car on ne change pas impunément de vie, sans accepter, qu’en contrepart­ie, on y laisse, avec les plumes, toutes les formes du regret. Dans la mesure où, c’est toujours d’un déracineme­nt qu’il s’agit, qui se cristallis­era en une brûlante nostalgie, laquelle fera qu’il sera difficile, au départ, de ne pas se sentir comme perdu sur une terre inconnue, combien même l’on aurait appelé ce « exil » de tous ses voeux, sachant que la prise de risques, s’il en est, au sens propre comme au figuré, concerne surtout les « voyageurs de la mer », qui partent sans paquebot ni équipage, affronter la mort sur de frêles esquifs, avec l’espoir infime de pouvoir accoster de l’autre côté, après avoir vu, à l’aube, poindre la ligne d’horizon, avec un miracle qui n’est, hélas pas toujours recommencé. Au départ seulement les regrets ? Comme tout est relatif, nul ne pourra jamais comprendre, à moins qu’il ne l’ait éprouvé lui-même, pourquoi d’aucuns se résolvent à quitter leurs pays, pour aller se faire traiter d’étranger ailleurs, avec tout ce que cela implique comme formes de mépris, et de haine parfois, alors qu’ils vivent dignement chez eux, et y élèvent, avec le même sens de dignité », leurs enfants ?

« Je ne suis pas d’ici, pas d’ailleurs non plus », écrivait l’étranger de Camus qui est un autre lui-même, son frère jumeau. La condition humaine. Avec ou sans empathie, comme il est difficile d’en résoudre le mystère. Il faut parfois toute une vie…

Partir ? Rester ?

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