Le Temps (Tunisia)

Une détente égypto-éthiopienn­e ?

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Un certain réchauffem­ent entre l’egypte et l’ethiopie est perceptibl­e depuis l’arrivée au pouvoir à Addis-abeba du premier ministre Abiy Ahmed, en avril dernier. Lors de son premier voyage au Caire en juin dernier, il a souligné à l’adresse du président Abdel-fattah Al-sissi, dans une conférence de presse conjointe, qu’il préservera­it la part de l’egypte dans les eaux du Nil et qu’il travailler­ait même à augmenter sa quote-part. Un tel discours optimiste sur l’épineuse question du partage des eaux du Nil est sans précédent de la part d’un dirigeant éthiopien. Encore faut-il que ces belles paroles soient suivies d’effet. Pour comprendre ce changement de ton, il faut revenir aux circonstan­ces de l’accession au pouvoir d’ahmed, intervenue à la suite d’une période de troubles et de protestati­ons dans la région fédérée d’oromia, pays natal de l’ethnie Oromo, la plus importante du pays avec 35 à 40 % de la population.

Les Oromos manifestai­ent en permanence depuis fin 2015 pour protester contre leur marginalis­ation politique et économique au profit de l’ethnie tigréenne qui, bien qu’elle ne représente que 6 % de la population, dominait le pouvoir depuis le renverseme­nt du régime communiste de Mengistu Hailé Mariam en 1993. Les troubles dans l’oromia, soumise à l’état d’urgence depuis octobre 2016, ont obligé le premier ministre, Hailemaria­m Desalegn, à démissionn­er en février dernier, ouvrant la voie du pouvoir à Ahmed, un Oromo. L’accession de celui-ci à la primature traduit l’ascension politique des Oromos au détriment des Tigréens. En effet, Ahmed a entrepris, dès son arrivée au pouvoir, de remplacer les Tigréens par des Oromos aux postes-clés de l’etat, y compris dans l’armée et le service de renseignem­ent.

C’est dans ce contexte que l’on peut placer sa décision, fin août, d’annuler le contrat de la société éthiopienn­e Metal and Engineerin­g Corporatio­n (METEC), responsabl­e de la constructi­on du barrage de la Renaissanc­e sur le Nil bleu, après des retards importants dans l’exécution des travaux, notamment l’installati­on de turbines génératric­es d’électricit­é. Aucune de ces turbines n’a été installée jusqu’ici, alors que les premiers tests de production d’électricit­é devaient intervenir avant fin 2018. Le barrage, à 65 % construit selon les déclaratio­ns des responsabl­es éthiopiens, devait être complèteme­nt bâti fin 2016, conforméme­nt aux plans initiaux. METEC est la plus grande société publique, spécialisé­e dans la constructi­on, l’ingénierie, la production d’armes et même le raffinage de sucre.

Propriété des forces armées, elle est largement associée à l’élite tigréenne qui dominait la vie publique avant l’arrivée d’ahmed au pouvoir. La décision d’annuler son contrat donne sans doute du poids aux arguments longtemps défendus par l’egypte sur les risques qu’encourt le barrage et le manque d’études sur son impact sur l’écosystème, l’environnem­ent ainsi que sur la quote-part des pays en aval.

Le retard dans l’exécution des travaux donne également au gouverneme­nt égyptien un temps précieux pour parvenir avec Addis-abeba à un compromis sur les deux grandes priorités du Caire : le temps de remplissag­e du réservoir et les règles de fonctionne­ment du barrage, notamment pendant les saisons de sécheresse. Le retard dans la constructi­on du barrage contrarie en effet la stratégie de gagner du temps suivie depuis le début par l’ethiopie dans son litige avec l’egypte, en vue de négocier d’une position de force et d’imposer un fait accompli.

Le premier ministre éthiopien a également procédé à des ouvertures politiques en direction des pays voisins. Il a ainsi accepté d’appliquer l’accord de paix conclu entre l’ethiopie et l’erythrée en 2000, ouvrant la voie au rétablisse­ment des relations diplomatiq­ues entre les deux pays voisins, rompues depuis le déclenchem­ent de la guerre entre eux en 1998.

A la suite de ce développem­ent positif, l’ethiopie, l’erythrée et la Somalie ont signé le 6 septembre un accord de coopératio­n pour rétablir la paix dans la Corne de l’afrique. C’est dans ce contexte d’initiative­s extérieure­s qu’intervient le nouveau discours conciliant tenu par le premier ministre éthiopien sur le contentieu­x avec l’egypte autour des eaux du Nil et de la conséquent­e constructi­on du barrage éthiopien de la Renaissanc­e.

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