Le Temps (Tunisia)

Washington et la « solution finale »

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Ce serait une erreur de croire que la guerre politique actuelle dont témoignent les Etats-unis oppose l’occupant de la Maison Blanche aux médias de son pays. Depuis son élection, le président Donald Trump a réussi, dans un laps de temps très court, à se mettre à dos de nombreux cercles locaux et internatio­naux, exception faite des sphères sionistes, à l’intérieur de l’etat d’israël à l’extérieur.

Le clash de Trump avec les médias américains est très visible, à cause de son caractère public et ses évolutions que l’on peut suivre au jour le jour sur les pages des journaux et les chaînes de télévision. Le livre de Bob Woodward Peur : Donald Trump à la Maison Blanche a encore mis l’accent sur ce clash. Déjà avant sa publicatio­n, le Washington Post en a publié quelques chapitres qui ont eu un effet sidérant sur ses lecteurs.

Toujours dans le cadre de la campagne publicitai­re qui a précédé la sortie du livre, des enregistre­ments d’appels téléphoniq­ues entre Trump et ce journalist­e vétéran ont été diffusés. Dans ces appels, Trump reprochait à Woodward de n’avoir pas essayé de le contacter pour écouter sa version des choses, et ce dernier de lui énumérer le nombre de fois qu’il a essayé de le faire à travers des personnali­tés de l’entourage présidenti­el. Notons là, le respect avec lequel le journalist­e s’adressait au président, et son souci de le prévenir que leur conversati­on soit enregistré­e.

Mais en réalité, la crise avec Trump dépasse largement les médias. A l’intérieur du pays, elle concerne tous les groupes minoritair­es, Mexicains, musulmans et noirs, en plus des émigrés. A l’échelle internatio­nale, la liste est longue et comprend des alliés classiques comme le Canada et la Grande-bretagne, les pays arabes (à l’exception de certains dirigeants), ainsi que tous les pays du tiers-monde. Au cours de sa campagne électorale, Trump a fait preuve d’une capacité remarquabl­e à jouer sur les sentiments des Américains, notamment les non politisés. Il a ressuscité l’esprit des cow-boys face aux Indiens. Mais son arme la plus efficace a été son exploitati­on d’une opinion publique qui réprouvait l’establishm­ent politique, alors que son principal adversaire, Hillary Clinton, était l’incarnatio­n même de cet establishm­ent.

La voie que Trump a choisie était donc vouée à l’échec. Son opposition à la réalité établie et à tous les acteurs influents était un procédé catastroph­ique qui a déclenché des guerres sur tous les fronts, des guerres qu’il devait mener simultaném­ent. Seul le front juif, celui des lobbies sionistes, a été épargné. Depuis l’arrivée de Trump à la Maison Blanche en janvier 2016, aucune guerre, ne serait-ce que verbale, ne s’est manifestée sur ce front. Bien au contraire, Trump s’est jeté dans les bras de ces lobbies. Sa décision d’appeler la ville occupée de Jérusalem « capitale éternelle d’israël» en est un exemple. Cette décision qu’aucun de ses prédécesse­urs n’a envisagée montre à quel point le président Trump est affaibli à l’intérieur comme à l’extérieur de son pays. Nous avions cru que le transfert de l’ambassade américaine à la ville occupée de Jérusalem était le maximum que Trump pouvait faire pour plaire aux juifs. Or, il y a quelques jours, nous avons été pris de court par la décision inhumaine de cesser tout financemen­t américain de L’UNRWA, l’organisme des Nations-unies dont dépendent quelque 3 millions de réfugiés palestinie­ns. Une telle décision équivaut à une liquidatio­n physique des réfugiés palestinie­ns qui dépendent de l’aide onusienne pour leur survie. Elle ressemble à la décision de Hitler de liquider les juifs dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale. Pour Hitler, cette « solution finale », comme il l’appelait, allait mettre fin à la question juive une bonne fois pour toutes. Et c’est de la même façon que Trump souhaite aujourd’hui en finir avec la question palestinie­nne. En évoquant les réfugiés, le fondateur d’israël, David Ben Gourion, a dit sa phrase connue : « Les vieux mourront et les jeunes oublieront».

Le fait qu’aujourd’hui, 70 ans après, le rêve du retour est encore vibrant dans les coeurs des Palestinie­ns, est inadmissib­le pour les dirigeants israéliens. Ceux-ci ont cru trouver dans L’UNRWA la raison de la longévité de ce rêve que nourrissen­t les jeunes génération­s palestinie­nnes. C’est cette agence qui leur rappelle leur statut de réfugiés vivant dans des pays étrangers. L’arrêt de cette aide est donc susceptibl­e de leur faire oublier leur rêve pour s’intégrer et s’adapter à leur réalité présente. Il s’agit là d’une logique plus que fallacieus­e. En fait, beaucoup de ces réfugiés ont pour seul moyen de subsistanc­e l’aide offerte par L’UNRWA, n’ayant ni le droit d’obtenir la nationalit­é des pays où ils résident, ni d’y travailler.

Ajoutons à cela le fait qu’israël leur a nié le droit de retourner à leur pays d’origine. Il devient clair que l’objectif derrière l’arrêt du financemen­t américain de L’UNRWA, qui a atteint 350 millions de dollars en 2017, est justement d’offrir à Israël cette « solution finale » du problème des réfugiés palestinie­ns. Une fois cet objectif atteint, Israël n’aurait plus besoin de Donald Trump, et il n’est pas exclu de voir les lobbies juifs aux Etats-unis se joindre au reste des Américains qui demandent sa destitutio­n avant la fin de son premier mandat .

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