Le Temps (Tunisia)

Un sommet tout en manoeuvres

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Difficile d’en mesurer la part de résultats concrets, si tant est qu’elle existe. En médiateur empressé qui joue sa tête de président sud-coréen sur un réchauffem­ent qui tienne avec la Corée du Nord, Moon Jae-in veut croire et faire croire qu’au-delà des rires et des embrassade­s, ses trois jours de sommet à Pyongyang avec Kim Jong-un ont réellement fait avancer la péninsule sur le chemin compliqué de la paix et rouvert la porte à des pourparler­s qui étaient au point mort avec les États-unis. Ce qui n’est pas faux, même si l’accord que les deux hommes ont conclu jeudi dernier est bien loin de l’exigence américaine, du reste chimérique, d’une « dénucléari­sation définitive et entièremen­t vérifiée » du Nord.

M. Moon a manifestem­ent développé des affinités avec M. Kim et a réussi à calmer le jeu, ce qui n’est pas sans importance quand on pense à la peur d’une déflagrati­on nucléaire qui soufflait sur le monde il y a à peine un an. Les « retrouvail­les » entre les deux Corées depuis le début de l’année sont proprement historique­s, et le changement de ton est radicaleme­nt plus positif, y compris dans les relations avec Donald Trump. Au sud, le gouverneme­nt a mis sur pied une campagne de communicat­ion qui a même réussi, du moins en partie, à dédiabolis­er Kim Jong-un — comme s’il n’était pas l’héritier d’une dictature épouvantab­le. Pour que la paix se concrétise, il faudra pourtant davantage que de belles paroles et une efficace mise en images. Et sans doute davantage, l’avenir nous le dira, que les nouveaux engagement­s pris la semaine dernière par Pyongyang : arrêt en présence d’observateu­rs internatio­naux du site des tirs de missiles de Tongchang-ri et promesse de fermer les installati­ons nucléaires de Yongbyon sous condition de concession­s réciproque­s de la part des États-unis — des concession­s que le régime nordcoréen voudrait voir prendre la forme d’une levée progressiv­e des dures sanctions internatio­nales et d’une déclaratio­n mettant formelleme­nt fin à la guerre de Corée (19501953).

Car il y a là-dedans de la poudre aux yeux. Sung-yoon Lee, spécialist­e à l’université Tufts, près de Boston, rappelle que les activités de Yongbyon avaient déjà été suspendues dans le passé, pour être relancées plus tard quand la situation s’était envenimée avec Washington. Au reste, plusieurs rapports d’experts constatent que Pyongyang poursuit ailleurs dans le pays ses activités d’enrichisse­ment de l’uranium et de développem­ent de son arsenal de missiles. « Les Nord-coréens font des gestes qui imitent le désarmemen­t, a tweeté le spécialist­e du contrôle des armements Jeffrey Lewis, relayé par L’AFP. Voilà à quoi ressemble un accord à l’israélienn­e avec la Corée du Nord : ils font semblant de désarmer et nous faisons semblant d’y croire. »

Pour l’heure, donc, une négociatio­n en trompe-l’oeil, comme l’est de toute manière toute partie d’échecs diplomatiq­ue. C’est dans cette logique que le président Trump, après avoir menacé l’année dernière de rayer la Corée du Nord de la carte, a fait état des « progrès extraordin­aires » accomplis à ce sommet et que son secrétaire d’état, Mike Pompeo, s’est prononcé pour un deuxième sommet Trump-kim « dans pas trop longtemps » et d’une relance « immédiate » des négociatio­ns dans l’espoir que la dénucléari­sation de la Corée du Nord puisse avoir été achevée, rien de moins, avant la prochaine présidenti­elle de 2020. On peut s’attendre à ce que les prochaines semaines soient diplomatiq­uement mouvementé­es : dans l’immédiat, M. Trump devait rencontrer M. Moon dès lundi, en marge de l’assemblée générale de L’ONU, afin que ce dernier lui fasse rapport sur le sommet ; tandis que M. Pompeo comptait croiser cette semaine à New York son homologue nord-coréen, Ri Yong-ho.

Les jeux de la diplomatie internatio­nale reposant sur une articulati­on d’intérêts nationaux, M. Trump a décidé de faire avec la question coréenne la preuve de ses talents de négociateu­r en politique étrangère. Afin, ou non, de faire oublier ses ennuis sur la scène intérieure. Ou de nuire tout simplement à Pékin, qu’un rapprochem­ent de Pyongyang avec Séoul ne peut qu’irriter. Pour l’instant, il présente en tout cas l’image d’un homme qui tient vivement à réaliser une percée diplomatiq­ue dans ses rapports avec Kim, dont les projets nationaux de développem­ent économique doivent nécessaire­ment passer par un allégement des sanctions. Dans l’ordre actuel des choses, M. Trump, pressé par M. Moon — salutairem­ent élu il y a un an —, donne l’impression d’être de plus en plus disposé à parvenir à un accommodem­ent raisonnabl­e. Qui sait ? Sa pensée est peut-être en train d’évoluer.

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