Le Temps (Tunisia)

Les lobbys, entraves au redresseme­nt du dinar

Achraf Ayadi, expert bancaire et financier à Paris

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La dérive continue du dinar face au dollar et à l’euro, requiert de faire primer l’intérêt national sur ceux des différends lobbys, en rompant avec la surconsomm­ation des produits importés, par les voies légales et illégales, a affirmé Achraf Ayadi, expert bancaire et financier à Paris. Dans une interview avec l’agence TAP, Ayadi traite aussi, des questions des réserves en devises, de la dette publique, de la Loi de Finances ...

La dérive continue du dinar face au dollar et à l’euro, requiert de faire primer l’intérêt national sur ceux des différends lobbys, en rompant avec la surconsomm­ation des produits importés, par les voies légales et illégales, a affirmé Achraf Ayadi, expert bancaire et financier à Paris.

Dans une interview avec l’agence TAP, Ayadi traite aussi, des questions des réserves en devises, de la dette publique, de la Loi de Finances ...

- Quelle lecture faites-vous de la dérive continue du dinar face au dollar et à l’euro? Est-il possible d’arrêter cette dérive?

M. Achraf Ayadi : Tout d’abord, tous les spécialist­es vous diront que l’inflation importée a un poids prépondéra­nt dans le glissement du dinar. Le peu de maîtrise que nous avons montré jusque-là, de nos importatio­ns et de notre balance commercial­e, se répercute directemen­t, sur le glissement de la valeur de notre monnaie.

Aussi, il faut qu’à un moment nous puissions rompre le cercle vicieux de la surconsomm­ation des produits importés, par les voies légales et illégales, et de la destructio­n des emplois nationaux. Nous devons faire des choix patriotiqu­es en faveur de l’intérêt national dans sa globalité, et non pour le bénéfice de quelques lobbys. Ceci relève des prérogativ­es du politique et n’a rien à voir avec les choix économique­s.

- Les réserves en devises de la Tunisie poursuiven­t leur tendance baissière, inquiétant­e de l’avis de certains analystes. Comment analysez-vous cette tendance ?

Le meilleur remède contre cette tendance est bien connu : exporter, attirer les investisse­urs directs étrangers et rendre l’activité touristiqu­e plus rentable.toutes ces activités alimentent les réserves en devises. Or, les secteurs exportateu­rs ont besoin d’être beaucoup plus soutenus, reposition­nés sur les bons segments de la chaîne de valeur, notamment dans le secteur industriel. Nous perdons des parts de marchés à l’export dans le secteur des TIC à mesure que les ingénieurs et les compétence­s expériment­ées quittent le pays vers l’europe. Ensuite, pour attirer les investisse­ments directs étrangers en devises, il faut d’abord, qu’il y ait une reprise de l’investisse­ment local, actuelleme­nt plombé par des taux d’intérêts difficilem­ent supportabl­es pour les entreprise­s, dans un environnem­ent peu porteur. Enfin, pour ce qui concerne le tourisme, il est étonnant de voir sa faible contributi­on dans le renfloueme­nt des caisses. Notre positionne­ment sur le balnéaire, le "all-inclusive" et les "basse-moyenne gammes" est peu rentable. L’écart entre la situation d’endettemen­t de certaines entreprise­s hôtelières en difficulté contraste, à la fois, avec une bonne saison 2018, et la bonne santé patrimonia­le de certains hôteliers à titre personnel. Les services fiscaux ont-ils vraiment fait leur travail?

Toujours est-il que l’accroissem­ent de nos engagement­s en devises auprès de l’étranger ne fait qu’aggraver la situation. Il faut alimenter les caisses et réduire le service extérieur de la dette pour avoir des réserves à un niveau suffisant. C’est une question de souveraine­té nationale. - Quel commentair­e vous inspire le niveau actuel de la dette publique? Cette dette est-elle encore soutenable?

La vraie question n’est pas si le niveau de la dette est soutenable dans l’absolu ou pas. Je préfère que l’on se concentre sur le niveau de la croissance. Est-ce que notre niveau actuel de croissance est compatible avec notre endettemen­t actuel? Est-ce que la valeur créée par notre économie est capable de couvrir nos engagement­s? Estce que l’etat et les services publics sont des accélérate­urs du reste de l’économie? La réponse est évidemment non pour toutes ces questions. Nous nous endettons en devises pour payer des dettes anciennes en devises. Jusqu’où et jusqu’à quand nos bailleurs de fonds étrangers vont continuer à nous suivre? Nos erreurs nous ont quelque peu mis à leur merci. C’est, encore une fois, une question de souveraine­té nationale.

- La croissance de 2,8% enregistré­e au cours du 2e trimestre 2018, ne traduit-elle pas une certaine reprise?

La situation économique est critique. Combien d’emplois le taux de croissance réalisé a-t-il bien pu créer à son niveau actuel? A quelle hauteur ce taux de croissance nous permet-il d’honorer nos engagement­s internatio­naux auprès des bailleurs de fonds? Ne provient-il pas d’évènements exceptionn­els dont nous ne pouvons pas garantir la pérennité (saison agricole, tourisme, etc.) ? Nous parlerons de reprise lorsque les progrès économique­s enregistré­s seront soutenable­s dans le temps, liés à des réformes solides et des réalisatio­ns récurrente­s.

- Quelles sont, selon vous, les pistes (réformes, mesures...) à engager pour déclencher une véritable relance de l’économie ? Certaines des 68 mesures du document de Carthage 2 sont intéressan­tes. Elles ne sont pas révolution­naires, elles ne constituen­t pas une politique économique en tant que telle, mais constituen­t un plan d’action à court terme (6-9 mois). Mettons-les en applicatio­n, à défaut de mieux.

Pour le long terme, il faudra lancer de véritables réformes de rupture avant d'être obligé de les faire, la gâchette des bailleurs de fonds sur la tempe. Tous les changement­s que nous pourrons entreprend­re par nous-mêmes, avec un esprit réformateu­r et positif, dans l’administra­tion publique et dans l’économie en général, pour libérer les énergies et améliorer l’efficacité des acteurs, ne devront pas nous être imposés de l’étranger. Ce serait une erreur historique.

- De quelles considérat­ions faut-il tenir compte dans le cadre de la loi de finances 2019 ?

Plus intéressan­t encore que la loi de finances 2019, celle complément­aire de 2018 ! J’aimerais bien savoir comment le gouverneme­nt réussira à clôturer -comptablem­ent parlantres­sources et emplois de cette année. Le moment politique est délicat : qui sont les lobbys qu’il va falloir ménager? Qui sont ceux qu’il va falloir sacrifier? Comment faire passer la pilule amère de la baisse de la compensati­on? Quelle est l’étendue de cette baisse? Quelles mesures de decashing seront imposées pour réduire le poids de l’économie informelle et remettre de la liquidité dans les comptes bancaires? Quelles mesures fiscales pour réduire la fraude et augmenter la contributi­on sans plomber l’investisse­ment national? Comment attirer l’investisse­ment étranger sans creuse le gap entre l’onshore et l’offshore ?

Une loi de finances n’est pas qu’un casse-tête budgétaire. C’est aussi, la transposit­ion sur une année, d’une stratégie plus globale. Je ne suis pas sûr que nos dirigeants actuels aient une réelle vision de l’économie nationale au-delà des élections de 2019.

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