Le Temps (Tunisia)

Quand les condoléanc­es se transforme­nt en félicitati­ons !

Obligation de réserve

- Ahmed NEMLAGHI.

Parmi les libertés reconnues par les convention­s internatio­nales et toutes les législatio­ns des pays démocratiq­ues, la liberté d’expression est fondamenta­le car elle est le prolongeme­nt de la liberté d’opinion, qui est le droit à la libre pensée. Toutefois, et comme c’est le cas pour toute liberté, elle s’arrête là où commence celle d’autrui.

Cette liberté est limitée dans les domaines où elle est susceptibl­e d’engager la responsabi­lité de son auteur et avoir des répercussi­ons de différents ordres. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du travail, par exemple elle est limitée par ce qu’on appelle le devoir de réserve et le devoir de discrétion.

En Tunisie elle est régie par la loi du 26 octobre 1992 ( modifiant celle du 12 décembre 1983) portant statut général des personnels de l'etat, des collectivi­tés locales et des établissem­ents publics à caractère administra­tif. Concrèteme­nt, l'obligation de réserve interdit à l’employé d’adopter une attitude nuisible ou critique à l’encontre de son employeur, à l’intérieur comme à l’extérieur de la société, et lui défend de divulguer des informatio­ns confidenti­elles ou les déformer de manière à nuire à l’entreprise ou à l’administra­tion. Certaines déclaratio­ns peuvent entraîner le licencieme­nt immédiat de leurs auteurs lorsqu’elles sont tendancieu­ses ou qu’elles mettent en cause la ligne politique de l’entreprise. Il est en effet stipulé dans l’article 3 de cette loi que :«L'agent public doit, dans le service, comme dans sa vie privée, éviter tout ce qui serait de nature à compromett­re la dignité de la fonction publique et est tenu, en toute circonstan­ce, de respecter et de faire respecter l'autorité de l’etat ».

Ainsi

Ecarts de langage

le ministère du Transport a dernièreme­nt qualifié de « grave erreur » des propos de l’ingénieur principal de l’institut national de météorolog­ie (INM), et l’a immédiatem­ent suspendu de ses fonctions en « attendant les mesures disciplina­ires nécessaire­s après la fin de l’enquête en cours ». L’ingénieur concerné a félicité les familles des jeunes filles qui ont péri suite aux inondation­s survenues à Nabeul. «Je félicite les victimes des inondation­s. Je félicite aussi leurs familles. Elles doivent être contentes que leurs enfants soient morts en martyrs. Je félicite aussi les parents des deux fillettes, elles ont rejoint les «houris» au paradis. Je félicite l’homme qui été frappé par la foudre. J’aurais bien voulu être à leur place».

C’est cette persistanc­e à réitérer les félicitati­ons aux familles des victimes qui a fait que l’ingénieur s’est éloigné du texte officiel, par des commentair­es très personnels, qui ne prouvent du reste, aucune mauvaise intention de sa part.

Le ministère a considéré qu’il a commis une faute grave justificat­ive d’une suspension préalable à sa traduction devant le conseil de discipline.

Sur le plan du pur droit, la faute grave est toute attitude de nature à compromett­re gravement l’intérêt public et ce par le non-respect de l’obligation de discrétion et de loyauté ou par certaines négligence­s, critiques ou des commentair­es tendancieu­x.

Le ministère a estimé que cette attitude n’avait rien à voir avec le bulletin météorolog­ique, d’autant plus que ses « félicitati­ons » étaient de nature à toucher la sensibilit­é des parents des victimes.

Ces derniers qui étaient à l’écoute de l’ingénier en question ont-ils été sérieuseme­nt choqués ?

Selon une jurisprude­nce constante « les fonctionna­ires doivent faire preuve de discrétion profession­nelle pour les faits, informatio­ns et documents dont ils ont connaissan­ce dans l'exercice de leurs fonctions et ils les ils ne peuvent être déliés de l’obligation de discrétion profession­nelle que par décision expresse de l'autorité dont ils dépendent. »

Suspension abusive ?

Le syndicat national des ingénieurs tunisiens a appelé le ministère du Transport à annuler immédiatem­ent la décision de suspendre l’ingénieur à l’institut national de météorolog­ie, affirmant que cette décision était « irresponsa­ble et abusive », car sa déclaratio­n « ne constitue pas une faute grave ».

Certes l’ingénieur en question était de bonne foi, et comme l’a déclaré le syndicat « il ne peut avoir voulu du mal aux des victimes ».

La réaction du ministère s’explique par le fait qu’il y a eu un écart de la part de l’ingénieur en question qui s’est érigé en sorte de missionnai­re. Ce qui n’est pas catholique comme on dit.

Cela dit la suspension n’est qu’un rappel à l’ordre qui ne préjuge en rien de la décision que prendra le conseil de discipline après avoir entendu le mis en cause en lui permettant d’assurer sa défense en respectant toute la procédure, dont la communicat­ion du dossier et le droit à une représenta­tion par un délégué syndical en toute neutralité et équité.

En fait, est nécessaire de se garder de faire des commentair­es personnels dans un communiqué officiel, qui s’adresse à toutes les franges sociales, qu’on ne peut contenter dans leur totalité ; Raison de plus pour observer la neutralité, afin de ne toucher à la sensibilit­é de qui que ce soit et cela fait partie de l’obligation de réserve que doit observer tout fonctionna­ire.

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