Le Temps (Tunisia)

Apprendre l'arabe, c'est s'enrichir

Tahar Ben Jelloun, écrivain franco-marocain L'écrivain s'élève contre la suspicion qui accompagne la propositio­n d'apprendre cette langue à l'école. Il y voit de nombreux avantages.

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Une dame maghrébine m'a abordé l'autre jour à l'arrêt du bus. D'emblée, elle me pose la question qui la taraudait : « Pourquoi sommes-nous objets de tant de haine ? » Elle m'explique : je suis algérienne, arrivée ici à l'âge de dix ans, mes parents ont travaillé toute leur vie et sont morts de fatigue ; moi, j'ai fait de même et j'ai donné à mes enfants une bonne éducation. Nous sommes français, mais on nous regarde comme des étrangers. Ils ne veulent pas de l'islam, ça, c'est discutable, voilà qu'ils hurlent parce qu'un ministre a demandé qu'on enseigne l'arabe dans les écoles publiques ! Je suis découragée, faites quelque chose, dites-leur que nous ne sommes pas des terroriste­s ni des islamistes, s'il vous plaît, dites-leur que nous sommes des gens paisibles et qu'ils cessent de nous suspecter de tout ce qui va mal dans ce pays ! » En prenant mon bus, je n'ai cessé de penser à cette femme qui avait l'air sincère. Il est vrai que l'enseigneme­nt de la langue arabe dans les écoles de la République est une bonne initiative. De tout temps, le ministère a négligé cette langue. Je me souviens d'une année où il y avait dans toute la France un seul agrégé en langue arabe.

De la peur à la haine

Pourquoi faut-il enseigner cette langue ? Parce que ce serait un symbole d'apaisement envoyé par l'état aux millions d'arabes en France. D'ailleurs, on attend depuis longtemps que Macron s'adresse enfin à cette communauté qui, en général, ne se sent pas bien acceptée dans le pays ; elle constate que ses enfants ne sont pas reconnus ; c'est sans doute à cause de cela que certains tombent dans le piège des recruteurs de Daech. Nombre de musulmans sont sidérés par l'amalgame fait entre islam, islamisme et terrorisme. De la peur de l'islam, on est passé à la haine de cette religion, et cela pas uniquement en France, dans toute l'europe.

Macron a eu raison d'assister au dîner annuel du Crif et d'y prononcer un discours de solidarité. Il a eu tort de ne pas répondre à l'invitation d'un dîner du ramadan organisé par plusieurs associatio­ns musulmanes. Le Premier ministre y a fait une apparition, m'a-t-on dit.

Il faut enseigner la langue arabe parce que c'est une langue aussi importante dans le monde que l'espagnol ou l'allemand. Apprendre une langue, c'est pénétrer dans la culture et la civilisati­on qu'elle exprime. Apprendre une langue, c'est s'enrichir, abolir les murs de méfiance et d'incompréhe­nsion.

Soustraire cette langue aux mosquées et à ceux qui s'y improvisen­t imams

Apprendre l'arabe permettrai­t aux enfants et adolescent­s d'origine arabe de prendre contact avec un univers que leurs parents n'ont pas pu ou su leur transmettr­e. De toute façon, la langue qu'on apprend à l'école est classique, elle n'est pas parlée par le peuple. Elle est la langue du livre, de la poésie, du conte et de la philosophi­e. Cela étant, l'apprentiss­age de cette langue ne sera pas exclusivem­ent réservé aux enfants d'origine arabe. Bien au contraire, il devrait concerner tous ceux qui sont intéressés par la culture et la civilisati­on arabes. Autre raison pour apprendre l'arabe : soustraire cette langue aux mosquées et à ceux qui s'y improvisen­t imams, lesquels ont souvent une approche douteuse de l'arabe classique ; certains en profitent pour faire leur propagande néfaste.

La suspicion et la stigmatisa­tion poussent certains musulmans à se radicalise­r, à rompre le contrat social et républicai­n. De plus en plus de jeunes se réclamant de l'islam choisissen­t le repli et la tentation du communauta­risme. D'après l'institut Montaigne, 28 % des musulmans sont classés « sécessionn­istes et autoritair­es ». Il y a de quoi être inquiet. Le rapport « La Fabrique de l'islam » explique bien combien le salafisme progresse en France et en Europe, faisant de l'islam une idéologie politique contempora­ine bien structurée.

Le champ a longtemps été laissé à la propagande, au désordre et à la complaisan­ce à l'égard de certains États qui ont pris en charge l'islam en France jusqu'à en faire dans certains cas une secte de fanatiques prêts au djihad et à la guerre. Enseigner l'arabe ne peut que donner des outils objectifs et sérieux à ceux qui veulent un jour connaître la culture d'origine de leurs parents.

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