Le Temps (Tunisia)

Vous verrez comme on danse

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C’est fou comme la stagnation engourdit tout débat. Heureuseme­nt que le diable sort de temps en temps de la boîte israélienn­e pour nous envoyer une petite claque de réveil. Et nous rappeler qu’en plus d’être miné par des querelles de clochers et de minarets, pompé par des bataillons de sangsues, vidé de sa jeunesse, vieillissa­nt au grand galop, ne produisant presque rien, ne vivant que des subsides envoyés par ces émigrés qui poursuiven­t au loin la tradition du double budget, notre pays n’est jamais à l’abri d’un conflit majeur ou d’un effondreme­nt économique. Pendant ce temps, nos responsabl­es poursuiven­t leur petit jeu de la barbichett­e, jamais fichus de former un gouverneme­nt ou d’organiser des élections sans l’aval de quelque puissance étrangère dont ils croient détenir leur propre pouvoir. Qui rira donc le premier ?

Vous de là-haut, voyez comme nous autres citoyens nous battons sur tous les fronts d’un réel désastreux pour vivre et continuer à faire vivre en dépit de toute logique notre caillou de pays. Le Liban n’est pas un miracle. Le vrai miracle, c’est notre persévéran­ce. C’est l’insistance de chacun de nous à se réclamer de cette terre et à lui être fidèle, privé de ses droits les plus élémentair­es à la sécurité sous toutes ses formes, affrontant chaque matin un réseau routier aussi pléthoriqu­e qu’inefficace pour se rendre à un semblant de travail de plus en plus étique, de moins en moins éthique, pardonnez le jeu de mots, et naturellem­ent mal payé. C’est à l’étonnante assiduité avec laquelle nous essayons encore d’exister que vous devez votre propre existence, petits serpents que nous réchauffon­s dans notre sein et nourrisson­s de notre sueur et de nos larmes. En valez-vous la peine ? Peut-être ferions-nous mieux de vous laisser à vos querelles, vous de là-haut, vous les indifféren­ts, vous les sourds, les aveugles, les ignares, les vendus, les corrompus jusqu’à l’os, vous planter là et ne plus attendre vos solutions factices. Alors, vous verrez comme on danse. Après tout, les compétence­s et le potentiel sont dans les mains de cette brave multitude que nous formons et non dans les vôtres, cela se serait su, depuis le temps que vous accaparez, pour rien et pour très cher, la scène politique. Il est temps pour nous de reprendre notre destin, de nous unir et d’entrer, sans même vous en informer, en désobéissa­nce.

Nous avons perdu trop de temps à essuyer les plâtres des bras de fer communauta­ires. Dépassons enfin ce sectarisme archaïque déguisé en tolérance, fleuri de fausse conviviali­té, et qui ne sert qu’à engraisser les machines confession­nelles avec leur pléthore d’officiants de tous grades. Réappropri­ons-nous notre statut personnel, n’ayons plus peur de la démographi­e, ce monstre du placard qui nous monte sournoisem­ent les uns contre les autres. Nous avons mieux à faire ensemble, en toute sereine laïcité, qu’artificiel­lement séparés par nos religions respective­s. Déjouons cette mauvaise farce en vertu de laquelle nous sommes pris en otages par les champions de nos tribus respective­s. Alors, rien ne prévaudra contre nous.

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