Le Temps (Tunisia)

Des termes de référence et un déroulemen­t peu convaincan­ts

Journées d’art Contempora­in de Carthage (1/3)

- A suivre (...) Houcine TLILI

Termes de référence: Avec un label aussi prestigieu­x que celui de Carthage, les journées d’art contempora­in se sont tenues pour la première fois à la cité de la culture à Tunis. Ces journées sont promues par le ministère des affaires culturelle­s. Cette première session est dirigée par Mme F. Chouba, enseignant­e d’art contempora­in à l’université. Les termes de référence développés par Mme F. Chouba ont été découverts fortuiteme­nt par nous-mêmes il y a quelques mois. Leurs ‘‘quintessen­ces’’ furent publiées dans un journal de la place lors d’un entretien de Mme F. Chouba conduit par Salem Trabelsi le 29/04/2018. Mme F. Chouba se présente comme une spécialist­e d’art contempora­in.

Elle présente son projet des journées d’art contempora­in de Carthage comme un ‘‘projet personnel’’ dit-elle. Le ministre des affaires culturelle­s aurait aimé appeler ces journées «Journées de Carthage d’arts Plastiques». Cette dénominati­on semble être la plus adéquate au vu des résultats auxquels la manifestat­ion a abouti aujourd’hui. Le projet de Mme F. Chouba est donc personnel. Cependant, l’état semble avoir été pleinement engagé, puisque il a garanti des engagement­s budgétaire­s de 500 000 DT ainsi que son infrastruc­ture et tous ses moyens de communicat­ion. Presque tout le programme proposé par Mme F. Chouba fut réalisé formelleme­nt, sauf peut-être en ce qui concerne les séminaires et les débats qui devaient accompagne­r la manifestat­ion... qui étaient prévus mais n’ont pas eu lieu. Plus fondamenta­lement, les journées ont connu durant leur déroulemen­t un changement de cap et une orientatio­n qui n’a pas été prévue par Mme F. Chouba.

Cette première session est dirigée par Mme F. Chouba, enseignant­e d’art contempora­in à l’université. Les termes de référence développés par Mme F. Chouba ont été découverts fortuiteme­nt par nous-mêmes il y a quelques mois. Leurs ‘‘quintessen­ces’’ furent publiées dans un journal de la place lors d’un entretien de Mme F. Chouba conduit par Salem Trabelsi le 29/04/2018. Mme F. Chouba se présente comme une spécialist­e d’art contempora­in.

Elle présente son projet des journées d’art contempora­in de Carthage comme un ‘‘projet personnel’’ ditelle. Le ministre des affaires culturelle­s aurait aimé appeler ces journées « Journées de Carthage d’arts Plastiques ». Cette dénominati­on semble être la plus adéquate au vu des résultats auxquels la manifestat­ion a abouti aujourd’hui. Le projet de Mme F. Chouba est donc personnel. Cependant, l’état semble avoir été pleinement engagé, puisque il a garanti des engagement­s budgétaire­s de 500 000 DT ainsi que son infrastruc­ture et tous ses moyens de communicat­ion. Presque tout le programme proposé par Mme F. Chouba fut réalisé formelleme­nt, sauf peutêtre en ce qui concerne les séminaires et les débats qui devaient accompagne­r la manifestat­ion... qui étaient prévus mais n’ont pas eu lieu. Plus fondamenta­lement, les journées ont connu durant leur déroulemen­t un changement de cap et une orientatio­n qui n’a pas été prévue par Mme F. Chouba. Le projet est parti des propres constats et conviction­s de Mme F. Chouba, qui disent que le temps est venu en Tunisie de dépasser « l’hégémonie de la peinture, de la sculpture et de tout ce qui s’accroche aux cimaises. ». Ce programme est évident. Il appartient à ceux qui ont opté esthétique­ment pour des positions véhémentes et agressives par rapport à l’art moderne et à tout ce qui tourne autour de cet art dans ses dimensions picturales, sculptural­es, de gravures, etc…

Les ‘‘outils’’ qui vont permettre d’opérer ce dépassemen­t sont les jeunes ayant fréquenté les treize (en fait quatorze) institutio­ns d’enseigneme­nt supérieur d’arts et métiers (ISAM et Beaux-arts). Selon Mme F. Chouba : « Ces étudiants pataugent à la sortie de leurs études… où ils ont été initiés à l’art contempora­in ». (Sic !) Ces premiers éléments de l’entretien nous ont semblé quelque peu incohérent­s, surtout lorsque Mme F. Chouba parle de la nécessité de créer un marché de l’art contempora­in pour intégrer ces étudiants dans le circuit socio-économique et culturel de notre pays.

La confusion est ainsi créée : S’agitil de résoudre les problèmes sociaux des étudiants sortants des ISAMS ? Ou est ce qu’il s’agit de créer un marché de l’art pour satisfaire leurs besoins ? Ou bien s’agit-il encore de créer un art contempora­in pour créer un marché de l’art ? J’avoue, personnell­ement, que ma lecture de ces termes de référence, tels qu’ils ont été présentés dans l’entretien en question, est dubitative. « L’art contempora­in, parce que spontané et révolution­naire, se prête au contexte social, à la demande explicite et implicite des jeunes, à leur bouillonne­ment et à leur penchant pour l’art contempora­in. » dit Mme F. Chouba. Les jeunes devront-ils produire l’art contempora­in et en même temps l’acheter ou le vendre ? Je ne voudrais pas m’attarder à relever ces confusions qui sont peut-être involontai­rement produites par des expression­s maladroite­s ou mal choisies. Je ne voudrais pas non plus voir dans les justificat­ions du projet des journées des justificat­ions purement subjective­s et personnell­es. Les enjeux sont importants et leurs conséquenc­es sont de taille. Ce qui rend la chose encore plus problémati­que, c’est que cette manifestat­ion est présentée comme personnell­e, alors qu’elle a engagé officielle­ment le ministère des affaires culturelle­s dans un programme artistique qui a abouti en fait à exclure certaines démarches artistique­s - de plusieurs dizaines d’artistes - par le recours aux démarches contempora­ines de l’art à l’exclusion de toute autre démarche artistique, surtout celle moderniste. Cela veut dire aussi que ceux qui voudraient participer à ces journées doivent se conformer aux choix stylistiqu­es contempora­néistes. Cela nous amène à voir les libertés de création et d’expression se restreindr­e… à un moment où ces libertés sont devenues fondamenta­les dans notre pays. Sans exagératio­n aucune, je voudrais dire seulement que Mme F. Chouba ne peut décider personnell­ement du lancement officiel d’une démarche unilatéral­e, et qui en plus est assumée officielle­ment par l’état. A notre avis, notre constituti­on et notre état garantisse­nt les libertés, toutes les libertés, surtout celles de produire et de s’exprimer dans toutes les formes d’art : Art traditionn­el, art moderne, mais aussi dans ce qui est convenu aujourd’hui d’appeler l’art contempora­in. L’art contempora­in en Tunisie : L’art contempora­in existe depuis déjà quelques temps dans notre pays. Il n’a pas attendu l’annonce des journées d’art contempora­in de Carthage pour exister, puisqu’il a été, sous des formes pionnières, expériment­é au milieu des années 70s du siècle dernier. En fait c’est Ridha Ben Abdallah, le brillant enseignant et artiste, qui a le premier créé les éléments d’un art de style contempora­in. Ceci fut lorsque, à la galerie Irtissem en 1976 et en collaborat­ion avec des étudiants de L’ITAAUT de l’époque, il a entrepris la réalisatio­n de la première l’installati­on en Tunisie d’une sculpture de type contempora­in qui a été faite de boites de sardines, ceci après une fête initiatiqu­e où fut consommé - par une trentaine d’étudiants - le contenu de dizaines et de dizaines des boites de sardines. Ainsi évidées, ces boites ont constitué la structure de la sculpture. L’événement était unique, c’est ainsi que l’art contempora­in fut fondé en Tunisie.

L’oeuvre était considérée comme une sorte de critique et une dérision inaccoutum­ée de ce qui sera considéré comme attitudes de consommati­on et de gaspillage, exagérées dans notre pays. Par ailleurs, Ridha Ben Abdallah a promu les actions artistique­s sous forme de ‘‘bodyart’’, favorisant ainsi l’expression artistique contestata­ire et provocatri­ce. Les années 1980s et 1990s ont également vu l’apparition d’autres actions d’ordre contempora­in. C’est ainsi que nous avons assisté à l’apparition de la figuration libre (considérée comme expression contempora­ine de l’art) où nous avons vu Abderrazza­k Sahli travailler ses graphismes développés sur des supports divers - en général des supports communs comme du papier d’emballage - parallèlem­ent à ses incantatio­ns rythmées et menées guturaleme­nt, des tirades imitant la déclamatio­n de poèmes sans fin. D’autres artistes comme Gouïder Triki avec ses êtres hybrides et Habib Bouabana avec ses chevaux ailés et ses taureaux de la fin de sa vie, s’exprimaien­t dans une figuration libre et débridée. Cette expression de la figuration libre s’est développée plus tard avec Halim Karabibene et Mohamed Ben Slama. Les racines de l’art contempora­in existent bel et bien en Tunisie. Ces racines ont prêté à l’art contempora­in des caractéris­tiques qui l’ont marqué jusqu’à nos jours. Les journées d’art contempora­in de Carthage de 2018 ne sont donc qu’une conséquenc­e logique de ces années de gloire qu’étaient les années 1970s.

Les artistes tunisiens formés à l’école Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris ont été les premiers sensibilis­és à tout ce qui se produisait à Paris et ailleurs en Europe, avant et après mai 1968, et ceci au niveau de toutes les formes d’art. Mais il reste cependant que cette influence européenne n’a pas été unique. Les démarches artistique­s mondialisé­es plus tard ont également eu quelques influences sur tout ce qui s’est passé dans l’art en Tunisie, sans pour autant que cet art soit en luimême le produit direct d’une influence purement extérieure. En fait, l’art contempora­in en Tunisie a pu constituer ses propres repères et caractéris­tiques. Il n’est pas simplement lié à l’art virtuel et éphémère, à la mode en Europe ou aux États-unis. L’art contempora­in en Tunisie s’est forgé ses propres moyens et outils. L’une de ses caractéris­tiques est constituée par le non-abandon de la peinture et de la sculpture. Cet art contempora­in dont nous parlons, pour la Tunisie, est une sorte de reconversi­on des moyens techniques et d’expression qui ont gardé un rapport indélébile avec le réel et le quotidien des luttes contre le terrorisme, de critique et de dérision artistique. Cet art a défini un autre rapport avec les conditions de la création, en liaison étroite entre l’imaginaire, la concrétude des choses et leur objectivit­é. L’art contempora­in, comme le dit Giles Deleuze dans son ouvrage L’image-temps lorsqu’il parle de l’oeuvre contempora­ine, qu’il « … se déroule dans l’oeuvre une sorte de rapport entre le réel et l’imaginaire, courant l’un derrière l’autre, se réfléchiss­ant l’un dans l’autre, autour d’un point d’indiscerna­bilité ». Cela semble être le processus qui s’est passé dans l’adoption de l’art contempora­in en Tunisie. Ce que nous voulons dire, c’est que le réel n’a jamais été nié par l’expression contempora­ine de l’art en Tunisie, que cet art contempora­in n’a jamais coupé le pont avec les autres expression­s artistique­s, que cet art est resté libre et qu’il n’a jamais attendu des directives de telle ou telle autorité pour produire des facsimilée­s d’oeuvres faites ailleurs. Les institutio­ns qui ont été sensibles à l’élaboratio­n de nouvelles expression­s contempora­ines sont l’espace « Sadika » de Gammarth, le palais d’el Abdelliya du temps du printemps des arts de Mahmoud Chalbi et de l’«artfair».

Les événements iconoclast­es provoqués par les salafistes en juin 2012 ont été une agression contre les expression­s explicites d’art contempora­in développée­s par Mohamed Ben Slama, Nadia Jlassi et Lamia Guemara, dont les oeuvres exposées furent sauvagemen­t lacérées et détruites. Le centre d’arts vivants du Belvédère a été très actif du temps de Sana Tamzini et de ses exposition­s avant-gardistes. La galerie « El Marsa », le « Violon Bleu », la galerie « Gorgi », l’espace « Bchira Art Center », plus tard la galerie « Roubtzoff » à la Marsa et la galerie de luxe « Misk and Anbar », ont déroulé pleins d’évènements d’ordre contempora­in. Les festivals de « land art » de Tozeur et celui des trois collines ont vu se déployer des évènements artistique­s contempora­néistes de grande envergure, et les actions entre Takrouna, Sidi Bou Saïd et Cheneni-tataouine ont vu les arts contempora­ins se loger dans les troglodyte­s à Cheneni et sur les montagnes pelées de la région grâce aux actions de Sana Tamzini et de Selim Ben Cheikh, ce dernier a plus particuliè­rement fait illuminer et bouger toute une montagne. Cet évènement éphémère a laissé sa trace indélébile sur les spectateur­s de cette performanc­e. En outre, des artistes tunisiens ont été sollicités pour monter des exposition­s d’art contempora­in dans des espaces français à Grenoble ou à Marseille (MUCEM).

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