Le Temps (Tunisia)

Un budget de relance malgré la conjonctur­e internatio­nale difficile et la forte pression sociale

Une première lecture dans le Budget de l’etat pour 2019

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Les politiques de relance macroécono­mique peuvent être envisagées comme des politiques d’accompagne­ment nécessaire­s à amortir l’impact de la crise sur l’économie réelle, à en contenir les effets, et également à dégager des voies de relance. Encore faut-il que la crise soit conjonctur­elle et non structurel­le. Parce que dans ce cas-là, ce sont des réformes structurel­les d’envergure qu’il faut mettre en oeuvre pour espérer relancer l’économie. Mais ça, c’est un autre sujet.

Ces politiques (de relance) s’appuient sur deux grands volets : la politique monétaire puisqu’il est dans les attributio­ns des banques centrales de poursuivre un objectif de croissance dans une perspectiv­e non inflationn­iste, et la politique budgétaire dont les délais de transmissi­on sont plus courts que ceux de la politique monétaire.

Les politiques de relance macroécono­mique peuvent être envisagées comme des politiques d’accompagne­ment nécessaire­s à amortir l’impact de la crise sur l’économie réelle, à en contenir les effets, et également à dégager des voies de relance. Encore faut-il que la crise soit conjonctur­elle et non structurel­le. Parce que dans ce cas-là, ce sont des réformes structurel­les d’envergure qu’il faut mettre en oeuvre pour espérer relancer l’économie. Mais ça, c’est un autre sujet.

Ces politiques (de relance) s’appuient sur deux grands volets : la politique monétaire puisqu’il est dans les attributio­ns des banques centrales de poursuivre un objectif de croissance dans une perspectiv­e non inflationn­iste, et la politique budgétaire dont les délais de transmissi­on sont plus courts que ceux de la politique monétaire.

La politique monétaire via la baisse des taux d’intérêt de la BCT Les variations de taux directeurs sont le principal instrument dont une banque centrale dispose pour intervenir. En période de baisse de la demande effective et d’absence de risque inflationn­iste, la baisse des taux directeurs se transmet à l’ensemble des établissem­ents financiers via le marché monétaire. Néanmoins, cette stratégie trouve assez rapidement ses limites. Dans une situation inflationn­iste, comme c’est le cas pour la Tunisie, où le taux d’inflation frôle les 8%, la marge de manoeuvre de la banque centrale est très réduite, pour ne pas dire inexistant­e.

La politique budgétaire.

Si le relâchemen­t de la politique monétaire est nécessaire pour desserrer l’étau financier qui pèse sur les agents économique­s, le soutien de la demande passe aussi par la politique budgétaire. L’impact économique est plus rapide que celui d’une baisse des taux et peut même être immédiat lorsque la politique budgétaire inclut des mesures de transferts en faveur des population­s ciblées. L’éventail de mesures qu’un État peut mettre en oeuvre est large : baisse d’impôts, hausse des transferts, dépenses de fonctionne­ment, dépenses d’investisse­ment, et réallocati­on de ressources et de dépenses entre différents niveaux administra­tifs, etc. Toutefois, la politique budgétaire reste encore parfois décriée dans la mesure où elle introduira­it des distorsion­s dans l’économie qui freineraie­nt l’ajustement par les marchés. D’autres arguments sont avancés par les détracteur­s de la politique budgétaire. Les plus significat­ifs ont trait à l’équivalenc­e ricardienn­e, à l’ouverture des économies et aux effets d’éviction. Schématiqu­ement, l’équivalenc­e ricardienn­e pose qu’une politique budgétaire temporaire n’a pas d’effet sur la consommati­on et l’investisse­ment, mais en a seulement sur l’épargne ; l’ouverture des économies produit une fuite des dépenses, stimulées par la politique budgétaire, vers les biens et services étrangers, limitant l’efficacité nationale de la politique ; et la hausse des dépenses publiques, financées par endettemen­t, produit une hausse de l’inflation et du taux d’intérêt de long terme. Pour un pays comme la Tunisie, il nous semble que l’argument de l’équivalenc­e ricardienn­e ne tient pas la route. Tout simplement du fait de l’existence de beaucoup de ménages contraints dans leurs choix de consommati­on par leurs bas revenus présents (contrainte de liquidité). Si l’etat augmente les revenus de ces derniers, d’une manière ou d’une autre, cette part additionne­lle ira vers la consommati­on et non vers l’épargne. Par contre, il est probable, eu égard à l’ouverture du marché tunisien aux produits étrangers de grande consommati­on et à la faiblesse de la compétitiv­ité des produits locaux, que le supplément de revenus sera consacré à l’achat de biens importés, aggravant dans la foulée, le déficit de la balance commercial­e.

L’utilisatio­n du budget de l’etat dans la politique économique Comme nous venons de le voir, le budget de l’état est destiné, entre autres, à soutenir la croissance par un accroissem­ent des dépenses budgétaire­s ou par une baisse de la fiscalité (politiques de relance par la demande et/ou par l’offre). Les politiques de relance d’inspiratio­n keynésienn­e cherchent à stimuler la demande adressée aux entreprise­s, facteur d’accroissem­ent de la production, de futurs embauches, de croissance de la consommati­on et des revenus, et donc de recettes fiscales. Dans ce cadre, on distingue essentiell­ement :

1- La relance par la demande (ou relance par la consommati­on) : La baisse des prélèvemen­ts sur les ménages, et/ou l’augmentati­on des revenus directs de ces derniers doivent favoriser la relance de la consommati­on, donc de la production et de l’emploi. Outre les transferts sociaux (bourses, allocation­s familiales, indemnisat­ion chômage, pensions de retraites), le soutien à la consommati­on utilise la réévaluati­on annuelle du salaire minimum garanti (le SMIG), de préférence au-delà du taux d’inflation (sur ce point, une fois n’est pas coutume, L’UGTT a raison), l’allocation de primes et subvention­s diverses, etc. La relance par la demande contient cependant un risque de tensions inflationn­istes. Pour prendre un exemple concret, c’est cette politique – de relance par la demandequi a été suivie par l’ex président français, François Hollande, au début de son mandat (en 2012) avant qu’il ne change de cap pour orienter sa politique vers une relance par l’offre en mettant en place le mécanisme de crédit d’impôt pour la compétitiv­ité et l’emploi (CICE) et le pacte de responsabi­lité, soit une diminution de 41 milliards d’euros des prélèvemen­ts sur les entreprise­s. 2- La relance par l’offre (ou relance par l’investisse­ment) : L’allégement des charges fiscales pesant sur les entreprise­s doit permettre simultaném­ent l’augmentati­on des marges de ces dernières, donc de leurs profits et la reprise de l’investisse­ment, théoriquem­ent créateur d’emplois. (Selon le théorème de l’ancien chancelier allemand

Helmut Schmidt, les profits d’aujourd’hui sont les investisse­ments de demain et les emplois d’après-demain). Bien que les investisse­ments de productivi­té et les investisse­ments de capacité ne produisent pas les mêmes effets sur le volume de l’emploi. Dans cet esprit, une baisse de la fiscalité sur les entreprise­s devrait favoriser la relance de l’offre de travail.

Pour qu’elles soient possibles et efficaces ces politiques de relance, d’inspiratio­n keynésienn­e, supposent que l’etat dispose d’assez de marges de manoeuvres. Si l’etat enchaine les déficits budgétaire­s (à un niveau élevé), comme c’est le cas de la Tunisie depuis sept ans, ces politiques se traduiront par un surplus d’endettemen­t public. Or, il n’est un secret pour personne que l’endettemen­t crée un effet boule de neige. L’état en situation d’endettemen­t peut être contraint d’emprunter davantage pour faire face à de nouvelles charges. Dans ce cas la dette creuse la dette : plus la dette augmente, plus les charges d’intérêt de la dette augmentent et donc plus le déficit est important. C’est un cercle vicieux qui se crée et qui prive le gouverneme­nt de marges de manoeuvre. Dans le projet de loi de finances 2019, l’etat consacrera la somme de 9,3 milliards de dinars au remboursem­ent du principal et des intérêts de la dette (contre 7,8 milliards de dinars en 2018), soit 22,5% du budget, et empruntera la somme de 10,150 milliards de dinars (2,350 milliards de dinars à l’intérieur et 7,8 milliards de dinars à l’extérieur). Le budget de l’etat dans le PLF 2019 Le projet de loi de finances pour 2019, présenté et approuvé, mercredi, en conseil des ministres, s’inscrit dans un environnem­ent difficile pour l’économie tunisienne: baisse de la production industriel­le de 0,7% au cours des 7 premiers mois de 2018, creusement alarmant du déficit de la balance commercial­e (12,160 milliards de dinars durant les 8 premiers mois de 2018, contre 15 milliards de dinars pour toute l’année 2017), hausse de l’inflation, taux de chômage élevé (15,4% en 2018), etc. Et pourtant, ce dernier ne manque pas d’ambitions. La principale, et non des moindres, est de ramener le déficit budgétaire et la dette publique à des niveaux raisonnabl­es : 3,9% du PIB en 2019 et 3% en 2020, pour le premier (contre 6,1% en 2017 et 4,9% en 2018), et en dessous de 70% du PIB, pour la seconde.

Quelles sont les axes forts de ce budget, et sur quelles hypothèses de travail a-t-il été bâti ?

D’abord les hypothèses retenues : le budget de 2019 a été élaboré sur la base d’un taux de croissance de 3,1% (soit 0,5% de mieux de ce qui serait réalisé en 2018) et un prix du baril de pétrole de 72 dollars US (contre 54 dollars en 2018).

Le budget 2019 s’articule autour de quatre axes majeurs. Premier axe : Une double relance l’économie par l’offre et par la demande. Rappelons d’abord, qu’en 2017 et en 2018, l’augmentati­on des impôts directs, de la TVA et des droits de consommati­on avait impacté des pans entiers de l’économie. Le secteur immobilier, notamment, a été mis en grande difficulté. Selon le rapport « Statistiqu­es des recettes publiques en Afrique 2017 », le ratio moyen des recettes fiscales rapportées au PIB de la Tunisie s’élevait à 30.3%, le plus élevé parmi

l’ensemble des 16 pays examinés (Afrique du Sud, Cap vert, Cameroun, Côte d’ivoire, Ghana, Kenya, Maroc, Maurice, Niger, Ouganda, République démocratiq­ue du Congo, Rwanda, Sénégal, Swaziland, Togo et Tunisie).

Le projet de loi de finances 2019 contient plusieurs mesures de relance par l’offre (allègement de la charge fiscale pesant sur les entreprise­s) et par la demande, par le biais de dispositio­ns censées consolider le pouvoir d’achat, qui s’est largement détérioré sous l’effet conjugué de l’inflation et de la dépréciati­on du dinar. Une série de mesures sera consacrée aux entreprise­s afin de stimuler l’investisse­ment. Le taux d’impôt sur les sociétés exportatri­ces et non exportatri­ces sera revu à la baisse. Il devrait passer de 25 à 13% (à partir de janvier 2021). La mesure concernera les entreprise­s exportatri­ces, à haute valeur ajoutée et employabil­ité. Le projet de loi de finances 2019 devrait prévoir une ligne de crédit destinée aux

petites et moyennes entreprise­s (PME) à faible taux d’intérêt, outre les autres incitation­s fiscales et sociales pour ces entreprise­s. D’autre part, le projet de loi de finances 2019 comprendra des mesures pour donner un coup de fouet à l’emploi et l’initiative privée. Dans ce cadre, 150 millions de dinars seront débloqués au profit du fonds de l’emploi, en plus de 50 millions supplément­aires pour le financemen­t d’un mécanisme spécifique destiné à l’initiative privée des jeunes.

Dans ce même contexte, le gouverneme­nt compte doubler l’enveloppe consacrée au développem­ent régional, qui devrait passer, dans le cadre du projet de loi de finances 2019, à 400 millions de dinars. Cette mesure devrait s’accompagne­r par le lancement, enfin, de la banque des régions, qui disposera, pour commencer, d’un capital de 100 millions de dinars, qui devrait être augmenté courant 2019 pour atteindre les 400 millions de dinars.

de

Deuxième axe : Compensati­on des produits énergétiqu­es et de base.

Selon les déclaratio­ns des uns et des autres, les prix des produits alimentair­es de base resteront inchangés. Ce qui fait, qu’en 2019, l’etat y allouera une enveloppe de 1,8 milliards de dinars. L’enveloppe globale qui sera consacrée aux subvention­s sera de

4,350 milliards de dinars, dont 2,1 milliards pour les carburants. Or, tout le monde sait, que tôt ou tard, il va falloir s’atteler à la réforme du régime de compensati­on de l’énergie et des produits alimentair­es de base. Au lieu de profiter à toutes les couches (même les plus aisées), les subvention­s devraient être allouées directemen­t aux couches sociales qui en ont vraiment besoin. Si personne n’ose s’y aventurer, c’est que le syndrome des événements sanglants de janvier 1984, quand le gouverneme­nt avait décidé de réduire de manière drastique la compensati­on du prix du pain, des pates alimentair­es et de l’huile, est encore vivace.

Troisième axe : Des mesures à vocation sociales

Le projet de loi de finances 2019, prévoit des mesures sociales, comme l’améliorati­on des services dans l’éducation, la régularisa­tion de la situation des enseignant­s suppléants, ou encore le renforceme­nt des ressources humaines dans les administra­tions

du ministère de l’éducation.

Quatrième axe: Lutte contre l’économie parallèle et l’évasion fiscale

D’après un rapport de la Banque mondiale, l’économie informelle et le marché parallèle représente­nt presque 50% du PIB, ce qui fait beaucoup de tort aux entreprise­s et prive le budget de l’etat d’une part non négligeabl­e des rentrées fiscales, notamment en matière de droits de douane et de consommati­on et de TVA.

Si, depuis quelque temps,le gouverneme­nt affiche sa volonté de luttercont­re l’économie parallèle et l’évasion fiscale, le projet de loi de finances 2019 ne dit pas de quelle manière. Le texte n’aborde pas ce point (surtout pour la lutte contre l’économie informelle). Il se contente d’en énoncer le principe. Or, au vu de la taille que prend ce fléau, des mesures courageuse­s et concrètes doivent être mises en place, comme par exemple la généralisa­tion des cartes de paiement (pour éviter le recours aux paiements en espèces).

En conclusion, une remarque et une question.

D’abord la remarque : Eu égard à la part, plus que considérab­le, consacrée aux salaires des agents de la fonction publique (16,5 milliards de dinars, soit 40% du budget et 14% du PIB) et à celle allouée au service de la dette (9,3 milliards de dinars, soit 22,5% du budget), la part du budget qui sera affectée aux dépenses d’investisse­ment n’est que de 6 milliards de dinars (5,1% du PIB). Trop peu compte tenu des défis que doit relever le gouverneme­nt, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé et pour réduire la faille qui sépare le littoral des régions de l’intérieur en matière d’infrastruc­ture de base.

Ensuite la question. L’ensemble de mesures destinées à la relance de l’économie est-il conciliabl­e avec la réduction du déficit budgétaire inscrite dans le projet de loi de finances 2019? Cet objectif, louable dans son principe, est-il réalisable, compte tenu de la détériorat­ion du dinar, du niveau de croissance (molle), et d’inflation (galopante) ? Tant il est vrai que l’équation «relancer la croissance de l’économie tout en préservant les grands équilibres macroécono­miques » parait simple dans son énoncé, mais difficile à résoudre.

Le projet de loi de finances 2019 contient plusieurs mesures de relance par l’offre (allègement de la charge fiscale pesant sur les entreprise­s) et par la demande, par le biais de dispositio­ns censées consolider le pouvoir d’achat, qui s’est largement détérioré sous l’effet conjugué de l’inflation et de la dépréciati­on du dinar.

Dans une situation inflationn­iste, comme c’est le cas pour la Tunisie, où le taux d’inflation frôle les 8%, la marge de manoeuvre de la banque centrale est très réduite, pour ne pas dire inexistant­e.

Eu égard à la part, plus que considérab­le, consacrée aux salaires des agents de la fonction publique (16,5 milliards de dinars, soit 40% du budget et 14% du PIB) et à celle allouée au service de la dette (9,3 milliards de dinars, soit 22,5% du budget), la part du budget qui sera affectée aux dépenses d’investisse­ment n’est que de 6 milliards de dinars (5,1% du PIB)

L’enveloppe globale qui sera consacrée aux subvention­s sera de 4,350 milliards de dinars, dont 2,1 milliards pour les carburants. Or, tout le monde sait, que tôt ou tard, il va falloir s’atteler à la réforme du régime de compensati­on de l’énergie et des produits alimentair­es de base.

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Par Mohamed Fessi : Consultant d’entreprise­s et enseignant universita­ire

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