Le Temps (Tunisia)

Elections législativ­es sous très haute tension

- Violence et participat­ion Les jeunes candidats Quel bilan pour l'assemblée ? Envoyer un message

Aujourd’hui, l’afghanista­n renouvelle l’intégralit­é de la Chambre basse de son Parlement, soit 449 sièges. «Enfin», serait-on tenté de dire ! Ces élections repoussées à plusieurs reprises, se tiennent avec plus de trois ans de retard. Le contexte est difficile : les talibans n’ont jamais contrôlé autant de territoire­s depuis la chute de leur régime fin 2001. Ces élections serviront de test pour la présidenti­elle de 2019.

Pourquoi ces trois ans et demi de retard ? Lors de la présidenti­elle de 2014, les fraudes massives avaient plongé le pays dans une grave crise politique, chacun des deux finalistes se déclarant vainqueur, il avait fallu inventer un nouveau système pour les faire cohabiter à la tête de l’etat. Pour éviter de nouveaux problèmes, une réforme électorale était nécessaire, mais les dirigeants afghans ont mis beaucoup de temps à se mettre d’accord sur ses contours.

« Il fallait prendre le temps et maintenant c’est le moment », explique l’ambassadeu­r d’afghanista­n en France Abdel-ellah Sediqi : « Au lieu d'attendre des circonstan­ces parfaites qui ne viendront jamais - comme dans tous les pays du monde - il vaut mieux avoir un Parlement élu maintenant pour légitimer les institutio­ns, pour la séparation des pouvoirs, pour qu'il y ait un Parlement par rapport au pouvoir exécutif ». Ces élections doivent permettre de revenir dans l’ordre constituti­onnel, puisque les députés actuels sont censés avoir fini leurs mandats il y a plus de trois ans, précise Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à l’université Panthéon Paris 1–Sorbonne.

Les talibans et l’organisati­on Etat islamique, qui ont appelé au boycott du vote d’aujourd’hui, ont réussi à tuer dix candidats pendant la campagne électorale. Jeudi 18 octobre encore, le très puissant chef de police du district de Kandahar, dans le sud, était assassiné par les talibans. La proximité des élections est certaineme­nt une coïncidenc­e – les talibans avaient déjà essayé des dizaines de fois de le tuer, mais cela reste un message très clair envoyé à la population pour le jour du vote : les talibans peuvent atteindre qui ils veulent.

Mais la participat­ion est elle aussi un enjeu important du scrutin : elle doit permettre de légitimer à nouveau cette Assemblée sortie des clous constituti­onnels. Pour surveiller les 5 000 bureaux de vote, 50 000 membres des forces de sécurité afghanes seront donc positionné­s demain dans le pays. Malgré ce déploiemen­t, Gilles Dorronsoro estime qu’au minimum un tiers des districts ne pourront pas voter : les talibans vont tout simplement bloquer les routes. Une vague d’attentats suicides est également possible – il est facile de se dissimuler sous une burqa et se faire exploser dans une file d’attente, précise le spécialist­e.

Pour autant, parmi les 2 500 candidats, beaucoup de jeunes et des femmes se présentent. « Ils se lancent dans une idée de renouvelle­ment des élites », explique Romain Malejacq, professeur à l’université de Radboud, à Nijmegen aux Pays-bas. Mais « il est peu probable de voir cet enthousias­me se transcrire dans les votes » : d’abord, seul un tiers des femmes se sont enregistré­es pour voter, un chiffre qui n’est pas en augmentati­on. Ensuite, le mode de scrutin (uninominal à un tour) a tendance à favoriser les personnage­s connus et les hommes forts, c’est-à-dire les commandant­s et les seigneurs de guerre. Des gens susceptibl­es selon les Afghans de les protéger, alors que le climat sécuritair­e ne cesse d’empirer.

Globalemen­t, le bilan de la Chambre basse de l’assemblée est assez faible selon Gilles Dorronsoro. D’abord parce que les deux présidents qui se sont succédés à la tête de l’afghanista­n depuis la chute des talibans, Hamid Karzai et Ashraf Ghani, ont fait passer de nombreux textes législatif­s par décret – ce qui a marginalis­é de fait le Parlement. Sans oublier que « jusqu'à leur désengagem­ent en 2014 les occidentau­x avaient un rôle majeur dans la formalisat­ion des textes : c'était souvent eux qui en fait initiaient indirectem­ent les propositio­ns de loi ». Autre problème : la corruption, « les votes ont souvent été achetés ». Et puis souligne Gilles Dorronsoro « il n'y a pas eu constituti­on d'une éthique de député, d'un sentiment de représente­r le peuple, ce qui est extrêmemen­t important. Donc globalemen­t ça a été un échec ».

Mais aujourd’hui le gouverneme­nt afghan est surtout concentré sur les élections de demain, qui sont aussi pour lui l’occasion d’envoyer un message positif à la communauté internatio­nale et aux bailleurs de fonds - dans un peu plus d’un mois se tient à Genève une conférence ministérie­lle de L’ONU sur l’afghanista­n. Abdel-ellah Sediqi, l’ambassadeu­r d’afghanista­n en France, souligne que ce message est aussi à destinatio­n des pays voisins – par exemple du Pakistan, accusé par Kaboul de soutenir les talibans : il s’agit de « démontrer que les afghans sont capables de se réconcilie­r en interne et de pleinement mettre en oeuvre la Constituti­on ».

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