Le Temps (Tunisia)

L’histoire d’une vie aux multiples facettes

Assassinat de Jamal Khashoggi

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Le destin de Jamal Ahmad Khashoggi était tracé, surtout en raison de l’histoire d’une vie aux multiples facettes, marquée d’intrigues, de sauvagerie et de services secrets. Cet homme

« fabriqué et façonné » par les Américains et les Saoudiens, en étant leur intermédia­ire avec

Oussama Ben Laden, lorsque ce dernier combattait contre l’occupant soviétique en

Afghanista­n. Avec sa mort, disparaiss­ent beaucoup de secrets qui auraient pu gêner les

Saoudiens et, même, les Américains.

Khashoggie­st né le 13 octobre 1958, dans une famille d’origine ottomane, de Kayseri. Il est le neveu d’adnan Khashoggi, homme d’affaires et marchand d’armes, et le cousin germain de Dodi Al Fayed, tué à Paris dans un accident de voiture aux côtés de Diana, princesse de Galles. Son grand-père était par ailleurs le médecin personnel du roi Ibn Saoud.

À la fin des années 1970, comme beaucoup de jeunes saoudiens, il soutient la résistance afghane contre les Soviétique­s. Il se rend luimême en Afghanista­n mais aurait, selon ses amis, peu combattu. C’est également en

Afghanista­n qu’il réalise ses premières interviews d’oussama ben Laden, qui combattait alors les Soviétique­s : les familles Khashoggi et Ben Laden sont par ailleurs amies de longue date. Il étudie aux États-unis puis, de retour en Arabie saoudite, rejoint les Frères musulmans, courant mal vu à Ryad.

À la fin de sa vie, il souffre de diabète et d’hypertensi­on.

Carrière de journalist­e

Diplômé en administra­tion de l’université d’état d’indiana (1982), Jamal Khashoggi a débuté sa carrière de journalist­e dans différents quotidiens et hebdomadai­res saoudiens, dont Saudi Gazette, avant d’être nommé rédacteur en chef du journal Al Madina. De 1991 à 1999, il est correspond­ant à l’étranger (Afghanista­n, Algérie, Koweït, Soudan), puis devient rédacteur en chef adjoint d’arab News, le principal journal en anglais d’arabie saoudite (1999-2003).

Outre son travail de journalist­e, il entretient des liens avec les services renseignem­ents saoudiens dont le chef, le prince Turki Al-fayçal, le considère longtemps comme un protégé. Dans les années 1990, il est chargé par les services secrets de contacter Oussama ben Laden pour le persuader de renoncer à la clandestin­ité et de rentrer au pays. Il échoue cependant à convaincre son ami. Khashoggi prend ensuite ses distances avec ben Laden qui bascule dans le terrorisme contre l’occident ; en 2011, à la mort de ben Laden, il écrit à propos de ce dernier «Tu étais magnifique et plein de bravoure aux beaux jours de l’afghanista­n, avant que tu succombes à la haine et à la passion».

Avec les années, Khashoggi se fait le promoteur de la démocratie dans le monde arabe, critiquant les pouvoirs corrompus et plaidant pour un accroissem­ent de la participat­ion politique, y compris au sein des monarchies du Golfe. En 2003, il est très brièvement rédacteur en chef d’al-watan mais, jugé trop progressis­te, il est licencié par le ministre saoudien de l’informatio­n après avoir publié plusieurs commentair­es à propos de l’influence du pouvoir religieux en Arabie saoudite. Il s’exile quelque temps à Londres, puis, au cours des années suivantes, joue un rôle de conseiller auprès de Turki Al-fayçal et adversaire de Mohammed ben Salmane.

En 2007, il est à nouveau nommé à la tête de la rédaction d’al-watan. Il quitte le journal en 2010 après avoir critiqué les salafistes et est nommé directeur d’alarab News à Bahreïn, collaboran­t aussi à différents médias internatio­naux comme commentate­ur politique spécialist­e du Moyen-orient.

Demeuré en lien avec les Frères musulmans — ce qu’il reconnaît ou nie en fonction de ses interlocut­eurs — Jamal Khashoggi soutient en 2011 les printemps arabes en jouant la carte de l’islam politique. Mais l’échec de ces révolution­s vient s’ajouter à la liste de ses déceptions, après les dérives du « djihad » afghan et de Ben Laden.

Disgrâce et exil

Initialeme­nt proche de Mohammed Ben Salmane, qu’il voit au départ comme un réformateu­r, il rompt peu après avec lui. En décembre 2016, Jamal Khashoggi est puni par son pays pour avoir ouvertemen­t critiqué Donald Trump et interdit d’exercer son métier.

En septembre 2017, il s’exile aux États-unis, où il tient une chronique au Washington Post. Il s’oppose alors de plus en plus ouvertemen­t au prince héritier Mohammed ben Salmane.

Le 2 octobre 2018, Jamal Khashoggi, à la demande de l’ambassade d’arabie saoudite à Washington D.C., entre au consulat d’arabie saoudite à Istanbul pour obtenir un document nécessaire à son remariage, prévu pour le lendemain, avec sa fiancée turque, Haticeceng­iz, rencontrée il y a peu. Le journalist­e s’était rendu une première fois au consulat le 30 septembre. Selon la police turque, il y aurait été arrêté, torturé et assassiné par des forces spéciales saoudienne­s, puis son corps aurait été démembré et transporté hors du consulat en direction d’un autre pays.

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Khashoggi en tenue des Moudjahidi­nes

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