Ben Salman a plus à craindre de la «menace intérieure»
Affaire Khashoggi
Mohammed ben Salman s’est pour la première fois exprimé publiquement au sujet de la mort de Jamal Khashoggi. Le prince héritier a brisé le silence à l’occasion de la conférence internationale sur l’investissement de Riyad, largement boudée par les Occidentaux en raison du scandale. Mohammed ben Salman a évoqué un « incident douloureux », un « acte abject » et promis de faire prévaloir la justice. Les pays alliés de l’arabie saoudite réclament que la lumière soit faite. Pour Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense, si menace il y a pour le prince héritier, elle viendra plutôt de l’intérieur.
Pour Pierre Conesa, auteur de Dr Saoud et Mr Djihad aux Editions Robert Laffont, malgré la réaction ferme des Occidentaux sur l’affaire Khashoggi, prince héritier saoudien Mohammed ben Salman devrait s’en tirer à bon compte et l’arabie saoudite ne pas trop souffrir de ses relations avec les grandes puissances. « Il (Ben Salman) peut faire amende honorable, ça ne veut pas dire que les Occidentaux et en particulier les Américains vont demander sa tête. Par contre, la menace peut venir de l’entourage. L’arabie Saoudite, c’était un système assez consensuel de redistribution de la rente, et Mohammed Ben Salman a tout à fait installé une espèce de verticale du pouvoir et de ramener tout à lui-même. Or, cette affaire Khashoggi vient après une longue série d’échecs et de fautes de Mohammed Ben Salman. La guerre au Yémen quand il était ministre de la Défense, l’embargo sur le Qatar qui tourne exactement au désavantage de l’arabie Saoudite ».
«On connaissait les pratiques de MBS »
L’ancien haut fonctionnaire s’étonne à peine de la réaction de Donald Trump depuis le début de l’affaire. « Cet homme, on en connaissait les pratiques. Pourquoi les Occidentaux ont-ils fermé les yeux et tout d’un coup font-ils semblant de les ouvrir à propos de l’affaire Khashoggi ? S’il y a une explication c’est que, d’abord, c’est un journaliste dans un journal américain. Trump ne peut pas se permettre de passer l’éponge autour d’un journaliste américain. La presse est suffisamment puissante. Le Washington Post est quand même le principal média d’opposition à Trump, je crois qu’il est obligé, vis-à-vis du reste de la population américaine, d’avoir une attitude ferme. » Pierre Conesa pense que la famille du défunt journaliste devrait poursuivre l’affaire devant les tribunaux américains. « Si j’étais membre de la famille Khashoggi je déposerai plainte auprès de la justice américaine. Parce que cette justice a tellement montré ses pouvoirs d’extraterritorialité que c’est une manière de ficeler Trump dans ses futures relations avec l’arabie saoudite qui ne peut pas résister non plus à la justice ».
Quels sont les risques réels de sanctions ?
Certains pays, dont l’allemagne, pourront effectivement prendre des sanctions. Mais la France, en raison de la structure de son commerce extérieur, est plus dépendante à l’égard de l’arabie saoudite. Le BTP, le luxe, l’armement ont des stratégies de positionnement mondial et l’arabie saoudite joue un rôle clé sur ces marchés, nous explique Pierre Conesa.
En août dernier, un conflit avait opposé le Canada aux Saoudiens. « Quand le Canada a exprimé sa critique à l’égard de condamnations des militantes féministes, les Saoudiens ont rompu des relations diplomatiques. Mais on vient d’apprendre à l’occasion la crise Khashoggi que le Canada n’avait pas interrompu son contrat de vente de blindés à l’arabie saoudite. C’est-à-dire qu’en dépit de la rupture des relations diplomatiques, le Canada qui s’était drapé dans cette dignité, avait poursuivi le contrat ».
Il a y une ambigüité diplomatique, conclut Pierre Conesa: on peut dire des choses, on peut dire qu’on va prendre des mesures etc., et ensuite dans le temps, on laissera passer la vague...