Le crime de trop
L’assassinat du journaliste Jamal Kashoggi et la disparition de son corps détruisent non seulement la version des faits donnée par les responsables saoudiens, mais mettent vraisemblablement un début de fin à un règne, qui s’annonçait sanglant du prince héritier, Mohamed Ben Salmane, dit «MBS». Si le président américain, Donald Trump, avait au début de cette affaire trouble tenté de minimiser le rôle des autorités saoudiennes dans le meurtre du collaborateur du Washington Post, il a complètement changé son fusil d’épaule et a clairement expliqué qu’il ne croit plus à la version de Riyad. Pire, le président américain, qui avait à plusieurs reprises insisté sur le soutien de son pays à l’arabie saoudite, et vanté son rôle «stabilisateur’’ dans la région, commence à douter de la capacité du jeune prince héritier à diriger un pays aussi important dans l’échiquier géopolitique et économique régional pour la première puissance militaire au monde. Les frasques du prince héritier commencent à faire peur aux Américains, qui sont en train de revoir leur stratégie. En une année, il a fait beaucoup parler de lui, plus en mal qu’en bien, notamment avec l’affaire du Premier ministre libanais Saad El Hariri, et, surtout, le blocus économique et diplomatique contre le Qatar. Dans la foulée, il a fait arrêter des hommes d’affaires influents, et des centaines d’opposants dans le royaume. MBS a également déclenché la guerre contre le Yémen, devenue un gouffre financier et dénoncée dans le monde pour être devenue une catastrophe humanitaire sans précédent dans ce petit pays aux ressources économiques très limitées.
Pour autant, Washington, sous l’ère Trump, qui a déjà pompé plus de 110 milliards de dollars à Riyad pour l’achat d’armements lors de la première visite du prince héritier aux Etats-unis, ne peut se détourner brusquement d’un allié de poids dans la région. Pour les Etats-unis, l’arabie saoudite, en plus d’être un puits de pétrole et un client privilégié de l’industrie militaire US, a une importance capitale dans la politique de «containement’’ de l’iran. Avec Israël, l’arabie saoudite est le premier allié politique, militaire et économique des Etats-unis au Moyen-orient, où sont extraits 40% de la production pétrolière mondiale. Et Donald Trump, en homme d’affaires avisé plus qu’en tant que président de la première puissance mondiale, sait qu’il ne faut pas tuer «la poule aux oeufs d’or’’. Mais, même pour lui, Riyad a commis le crime de trop pour que cela puisse être un fait anecdotique, l’assassinat prémédité et le démembrement d’un journaliste.
En fait, le président américain ne peut également rester insensible à son opinion publique, à l’approche des élections de mi-mandat. Il sera d’autant plus attentif à sa position vis-à-vis de cet assassinat inutile, que sa position va changer fatalement quant à l’avenir politique de Mohamed Ben Salmane, qui a fait l’erreur de trop.