Le Temps (Tunisia)

Périlleuse divergence entre Bruxelles et Rome

Rejet du budget italien

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Qui cédera le premier ? La discussion sur le projet de budget italien est en train de ressembler à ce que les Américains appellent unchicken game ou « jeu de la poule mouillée » : deux conducteur­s foncent l’un vers l’autre sur une route à une seule voie en pariant que l’un des deux fera un écart au dernier moment pour éviter la catastroph­e.

Le duel qui se joue entre Rome et Bruxelles est monté d’un cran en intensité, mardi 23 octobre, après la décision de la Commission européenne de réclamer au gouverneme­nt italien une nouvelle mouture de son budget 2019. En l’état, Bruxelles estime que le chiffrage fourni par l’italie n’est pas conforme aux règles du pacte de stabilité et de croissance, considéré comme le socle intangible du bon fonctionne­ment de l’union européenne (UE). C’est la première fois que celle-ci active cette procédure, qui avait été prévue dans la foulée de la crise des dettes souveraine­s pour prévenir tout nouveau cataclysme.

Rome a donc décidé de maintenir inchangé son « budget du peuple » – selon l’expression de l’antisystèm­e Mouvement 5 étoiles, qui codirige l’italie avec l’appui du parti d’extrême droite, la Ligue. Il prévoit un déficit de 2,4 % en 2019, alors que l’italie s’était engagée en juin sur 0,8 %. Ce triplement du déficit menace de réduireà néant tous les efforts réalisés ces dernières années pour contenir une dette qui dépasse 132 % du produit intérieur brut (PIB), la plus élevée de la zone euro après celle de la Grèce et qui reste plus de deux fois supérieure au plafond prévu par le pacte.

Deux logiques irréconcil­iables s’opposent Le ministre italien de l’économie, Giovanni Tria, qui était partisan de lâcher du lest à Bruxelles, se retrouve dans une situation intenable : il avoue être « conscient » d’enfreindre les règles communauta­ires mais tente de justifier le dérapage par le constat que le pays n’a toujours pas retrouvé son PIB d’avant la crise de 2008. Création d’un revenu citoyen, abaissemen­t de l’âge de la retraite, instaurati­on d’un impôt à taux unique et plan d’investisse­ment dans les infrastruc­tures constituen­t les principale­s mesures d’un budget que le pays n’est pas capable de financersa­ns recourir une nouvelle fois à la dette. Deux logiques irréconcil­iables s’opposent. D’un côté, ce sont la crédibilit­é de la Commission et la cohésion de L’UE qui sont en jeu. La remise en question de la capacité de la troisième économie de la zone euro à rembourser sa dette menace de plonger l’europe dans une crise dont elle aurait du mal à se remettre. De l’autre, il s’agit de la liberté d’un gouverneme­nt démocratiq­uement élu pourexpéri­menter des recettes différente­s de celles de ses prédécesse­urs – quand bien même la plupart des mesures annoncées ne régleront qu’à la marge le principal problème de l’italie, sa faible productivi­té qui entrave la croissance.

D’autres confrontat­ions entre L’UE et un Etat membre ont eu lieu dans le passé. Mais, cette fois, le rapport de force ne penche pas nécessaire­ment en faveur de Bruxelles. A sept mois des élections européenne­s, le gouverneme­nt italien, très populaire, mise ouvertemen­t sur l’arrivée d’une nouvelle Commission plus conciliant­e.

Si Bruxelles doit maintenir à tout prix le dialogue pour tenter d’infléchir la trajectoir­e budgétaire italienne, Rome doit prendre conscience qu’une nouvelle crise de la dette souveraine en Europe ne relancera pas l’économie transalpin­e. Il est encore temps de donner un coup de volant pour éviter la collision fatale.

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