L’UE face aux atermoiements de Trump
Plan de paix israélo-palestinien
C’est un serpent de mer qui paralyse depuis des mois toute initiative diplomatique au Proche-orient et qui semble avoir plongé l’union européenne dans un état de sidération au moment où les fondements de sa politique étrangère - multilatéralisme et prééminence de l’onu - sont attaqués comme jamais. En promettant fin septembre devant les Nations unies de présenter «dans les deux à trois mois qui viennent» un plan de paix pour résoudre le conflit israélo-palestinien, le président américain Donald Trump n’a convaincu personne de sa sincérité, mais il a sans doute obtenu ce qu’il voulait: neutraliser les critiques sur ses initiatives unilatérales sans précédent sur Jérusalem ou les réfugiés palestiniens.
C’est le cas dans les pays arabes où certains semblent même prêts à lui emboîter le pas, à l’instar du prince héritier saoudien Mohamed ben Salman, que son père avait dû «recadrer» sur Jérusalem avant que l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi ne vienne faire pâlir son étoile et peut-être réduire sa marge de manoeuvre.
Mais ça l’est aussi des dirigeants européens qui expriment leurs doutes et dénoncent la remise en cause de principes posés et reconfirmés depuis des décennies par de multiples résolutions du Conseil de sécurité de l’onu, sans pour autant avoir, semble-t-il, d’alternative à proposer.
«Il y a une paralysie totale des Européens depuis que le plan de paix américain a été annoncé», déplore un diplomate français. «Cela aggrave l’impression d’impuissance de l’union européenne et en même temps ses divisions internes, entre partisans d’une politique commune et pays qui privilégient les relations bilatérales avec les Etats-unis. Pour l’europe, c’est la double peine.» Devant l’onu, Donald Trump a assuré que l’»accord du siècle» auquel travaille depuis plus d’un an son gendre, Jared Kushner, en étroite concertation avec les autorités israéliennes et saoudiennes, contraindrait les deux camps à faire «des concessions». Mais il s’est bien gardé de préciser si elles seraient de même ampleur.
Or, rien, dans les initiatives unilatérales des Etats-unis au cours de l’année écoulée, ne laisse entrevoir une approche équilibrée : ni l’arrêt du financement américain de L’UNRWA, l’agence de l’onu qui gère les réfugiés palestiniens, dont Washington estime désormais que le statut doit être réservé à ceux qui sont nés avant 1948 ; ni le transfert de l’ambassade des Etats-unis à Jérusalem, qui a dans l’esprit de Donald Trump réglé la question de la «capitale indivisible» d’israël alors que les Palestiniens veulent établir la leur à Al Qods-est.
Le président américain, qui avait pourtant évoqué pour la première fois du bout des lèvres, en septembre, la «solution à deux Etats», a enfoncé le clou ce mois-ci en ordonnant la fusion du service consulaire dédié aux Palestiniens avec la nouvelle ambassade américaine à Al Qods.
Face à ce détricotage méthodique des principes qui avaient présidé aux accords de paix d’oslo en 1993, L’UE apparaît sur la défensive.
Tout au plus les Vingt-huit ont-ils réussi pour le moment à préserver la solidarité face aux appels du pied de Washington à plusieurs pays d’ex-europe de l’est, notamment la République tchèque, la Roumanie et la Hongrie qui n’avaient dans un premier temps pas exclu de transférer à leur tour leur ambassade à Al Qods.
«L’UE a au moins gardé une certaine cohérence sur le processus de paix et la solution à deux Etats», souligne Nicholas Wescott, ancien directeur pour le Proche-orient et l’afrique du Nord du service européen pour l’action extérieure (SEAE), l’administration du Haut-représentant de L’UE pour la politique étrangère.
Et le diplomate britannique d’évoquer le mythe de Sisyphe pour résumer le casse-tête auquel sont confrontés les Européens: «Si on arrêtait de pousser la pierre (de la création d’un Etat palestinien, NDLR), elle tomberait pour de bon et la situation sur le terrain serait bien pire», dit-il.
Sur le papier, L’UE est pourtant en position de force pour peser sur l’issue du conflit, puisqu’elle est à la fois le premier partenaire commercial d’israël (34,3 milliards d’euros d’échanges en 2016 et un tiers des exportations israéliennes absorbées par les Vingthuit) et la première contributrice à l’aide aux Palestiniens, un rôle encore plus crucial depuis que les Etats-unis ont cessé de financer L’UNRWA.
Dans les arcanes de la diplomatie européenne, certains rêvent de voir Bruxelles hausser le ton, surtout si l’éventuel plan de paix de Donald Trump devait, comme il y a tout lieu de le craindre, remettre en cause la création, ou la viabilité, d’un Etat palestinien. «Une réponse potentiellement efficace serait d’annoncer que L’UE va reconnaître l’etat palestinien», suggère un diplomate en poste à Paris. Plusieurs Etats membres ont récemment fait cette démarche à titre individuel (Portugal en 2012, Suède en 2014) et d’autres avant leur adhésion à L’UE et le lancement du processus de paix d’oslo, lors de la proclamation unilatérale d’indépendance du Conseil national palestinien en 1988 (Malte, Chypre et les pays de l’ex-bloc de l’est).
Mais une reconnaissance collective aurait plus de poids et elle éloignerait le spectre d’un enterrement de première classe de la solution à deux Etats, veut croire le diplomate. «Cela permettrait à L’UE de faire pression sur l’autorité palestinienne pour qu’elle respecte sa part du marché, notamment le processus de réconciliation dans la bande de Gaza bloqué par (le président palestinien) Mahmoud Abbas pour des raisons de tactique politicienne intérieure, tout en faisant comprendre à Israël que la politique du fait accompli ne fonctionnera pas», argumente-t-il. Encore faudrait-il que L’UE accepte de se concevoir en tant que grande puissance, un enjeu qui dépasse de loin le cadre du processus de paix au Proche-orient.
Défendre le rôle de L’ONU
et sa place à L’ONU
En 2015, déjà, au terme de son mandat de secrétaire général du SEAE, poste qu’il fut le premier à occuper après sa création par le Traité de Lisbonne en 2009, le diplomate français Pierre Vimont déplorait cette absence de «vue stratégique» et jugeait urgent pour les Etats membres d’adopter «une vision commune du rôle de l’europe et de ses intérêts dans le monde».
Défendre ses intérêts, certes, mais pas en s’affranchissant du cadre multilatéral auquel les Européens restent attachés à l’heure où Donald Trump ou Vladimir Poutine s’en affranchissent pourtant avec désinvolture.