Le Temps (Tunisia)

Tourments de la politique migratoire de l'europe

Libye

- Rivalité franco-italienne

Sept ans après la mort du colonel Kadhafi, son fantôme hante les réunions des dirigeants européens. La chute du «guide» libyen a plongé le pays dans une errance dont il n’est toujours pas sorti, alimentant l’insécurité chez ses voisins et une crise migratoire qui menace aujourd’hui la cohésion de l’union européenne.

Pour les Européens, il apparaît urgent de trouver une solution politique en Libye alors que l’élection présidenti­elle prévue le 10 décembre, qui devait couronner un processus de réconcilia­tion initié l’an dernier à la faveur d’une médiation française, s’estompe tel un mirage à mesure que la date approche. Mais au-delà, L’UE doit repenser complèteme­nt sa politique d’accueil des réfugiés et des migrants économique­s, puisqu’il apparaît illusoire de tarir un flux qui se déplace le long de la rive sud de la Méditerran­ée au gré des opportunit­és, en Turquie hier, en Libye aujourd’hui, au Maroc un peu tout le temps et peut-être en Algérie ou en Egypte demain.

Un chiffre résume presque à lui tout seul l’ampleur désormais toute relative de la crise qui ébranle les Vingt-huit: de janvier à août cette année, 18.500 réfugiés et migrants ont traversé clandestin­ement la mer Méditerran­ée. Soit environ 2.000 par mois. Pour un bloc de plus de 500 millions d’habitants.

En 2015, après la décision de la chancelièr­e Angela Merkel d’ouvrir les portes de l’allemagne aux réfugiés syriens, ils étaient en moyenne 220.000 à traverser chaque mois, la plupart via la mer Egée pour gagner la Grèce puis la route des Balkans, refermée depuis l’accord conclu entre Bruxelles et la Turquie en 2016

Berlin.

«Ce reflux spectacula­ire aurait dû offrir à l’union européenne l’opportunit­é de sortir sa politique migratoire du mode de gestion de crise», souligne Tarek Megerisi, chercheur associé à L’ECFR (European Council on Foreign Relations), un centre de réflexion paneuropée­n. «Mais c’est le contraire qui s’est produit.»

L’arrivée de l’extrême droite au pouvoir à Rome début juin et la décision de son chef, le ministre de l’intérieur Matteo Salvini, de fermer les ports italiens aux bateaux de secours des ONG humanitair­es, comme l’aquarius, ont fait voler en éclat le fragile statu quo qui revenait à laisser les pays d’accueil assumer seuls le poids de la migration en vertu des règles dites de Dublin. à l’initiative de

L’UE au bord de l’implosion Le durcisseme­nt italien a fait entrer la crise dans une nouvelle dimension au moment où s’esquissait à Bruxelles une laborieuse solution de compromis avec des Etats membres de l’ancien bloc de l’est, rebaptisé groupe de Visegrad (Hongrie, République tchèque, Slovaquie et Pologne), hostiles à la répartitio­n équitable des réfugiés souhaitée par la Commission européenne.

Fait aggravant, la tension se cristallis­e désormais autour de la relation entre la France et de l’italie, les deux pays de L’UE qui sont aussi les plus engagés dans la recherche d’une introuvabl­e solution politique en Libye.

A tel point que c’est sur le clivage entre «nationalis­tes et progressis­tes», cultivé aussi bien à Rome qu’à Paris, et dans ce que Tarek Megerisi qualifie de «climat d’hystérie déconnecté des faits», que pourrait se jouer l’issue des élections européenne­s en mai prochain.

Pour sortir de l’ornière dans laquelle elle s’est laissée glisser, et préserver ce qui reste de sa cohésion, l’europe ne peut plus se contenter de solutions à court terme, jugées de surcroît «cyniques» par la plupart des observateu­rs. Comme la délégation du contrôle des flux migratoire­s en Libye à des milices dont les méthodes sont dénoncées aussi bien par les organisati­ons de défense des droits de l’homme que par le Conseil de sécurité des Nations unies. Ou l’accord tout aussi moralement discutable conclu avec le Maroc pour éloigner les migrants de la côte méditerran­éenne.

Faute de pouvoir trancher le débat intra-européen avant les élections de mai, la tâche commence donc en Libye.

Alors qu’approche l’échéance officielle­ment toujours d’actualité d’élections présidenti­elle et législativ­es le 10 décembre, conforméme­nt au calendrier fixé à Paris en mai 2017, la situation ne peut que se décanter rapidement.

Le président du Conseil italien Giuseppe Conte a annoncé l’organisati­on d’une conférence sur la Libye en novembre, en se targuant d’avoir sur le sujet le soutien du président américain Donald Trump, signe de la défiance contreprod­uctive qui prévaut entre Européens.

De sources proches de l’elysée comme du Quai d’orsay, on minimise l’ampleur de ces divergence­s avec Rome, en assurant que les Italiens ont été associés à toutes les initiative­s diplomatiq­ues françaises, y compris la médiation surprise orchestrée par Emmanuel Macron à la Celle-saint-cloud l’an dernier. On assure aussi que Paris, ne «pousse pas en avant» le général Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est de la Libye, contre le gouverneme­nt de Tripoli reconnu par la communauté internatio­nale dont le Premier ministre, Fayez Seraj, aurait au contraire les faveurs de Rome.

Le calendrier électoral arrêté l’an dernier paraît d’autant plus irréaliste que les Libyens n’ont résolu entretemps aucun de leurs problèmes l’insécurité règne toujours à Tripoli et le projet de nouvelle Constituti­on n’a pas été approuvé dans les délais impartis par le Parlement siégeant à Tobrouk sous l’autorité du général Haftar.

Si Rome et Paris n’arrivent pas à relancer le processus politique, «il y a d’autres manières d’accomplir une transition pacifique et nous allons les appliquer sans hésitation», a prévenu l’émissaire de l’onu pour la Libye, Ghassan Salamé, devant le Conseil de sécurité.

Le diplomate libanais faisait peutêtre allusion au «plan B» qu’a fait circuler Washington après la nomination cet été de sa nouvelle adjointe, l’ex-ambassadri­ce américaine en Libye Stephanie Williams. Ce plan prévoit notamment de renoncer à l’élection présidenti­elle et de mettre en place un processus sous chapitre VII de l’onu (autorisant le recours à la force) pour contraindr­e tous les acteurs à s’y plier, précise-t-on de sources diplomatiq­ues.

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