Le Temps (Tunisia)

«Karmen Geï», à voir en «open mind»

En attendant les JCC

- Z. H.

«Karmen Geï» de Joseph Gaï Ramaka a été sélectionn­é dans le focus Sénégal. Ce long métrage de 2001 a créé la polémique au pays de Senghor et de Cheikh Ahmadou Bamba…

Certains films peuvent créer des polémiques dans le pays d’où ils sont originaire­s. Cela a été le cas de «Karmen Geï» qui a vu une levée de bouclier au Sénégal, puisque les thèmes proposés peuvent être choquants : la luxure et l’homosexual­ité féminine, mais également (et peut-être surtout) à cause d’une «erreur» du réalisateu­r. En effet, Joseph Gaï Ramaka a transposé la nouvelle de Prospère Mérimée «Carmen» entre l’île de Gorée et Dakar. Jusque-là rien de choquant. Par contre il y a eu un réel blocage avec la séquence durant laquelle le corps de la directrice de la prison, lesbienne, chrétienne et suicidée, est conduit au cimetière.le réalisateu­r a trouvé «judicieux» de mettre un chant de Cheikh Ahmadou Bamba en fond pour cette séquence. Alors que judicieux ne l’était pas du tout. Là, il faut donner une petite leçon de religion. Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, de son vrai nom Ahmed ben Mohamed benhabib Allah, appelé Khadimoul Rassoul («serviteur du Prophète») ou encoreseri­gne Touba (chef religieux de Touba, ville sainte de la confrérie mouride qu’il a initiée), était un théologien, juriste musulman et soufi.de croyance traditionn­elle sunnite, ce saint hommeprôna le soufisme envers les enseigneme­nts du Coran et de la tradition du prophète Mohammed (PSL), l'attachemen­t aux préceptes de l'islam et la valorisati­on de la science et du travail.une branche de cette confrérie mouride est ce que l’on appelle le Baye Fall. Ce mouvement, initié par Ibrahima Fall, adepte du cheikh Ahmadou Bamba, voue un pouvoir total et une croyance absolue en Dieu et au marabout, messager de la parole de Dieu. Les Baye Fall ont été très choqués de la superposit­ion par Joseph Gaï Ramaka d’un chant, ou khassida («qasida») de leur guide spirituel à la scène du corps de la gardienne de prison, et ont tout saccagé lors de la première du film au Centre internatio­nal du Commerce extérieur du Sénégal (Cices). Pour eux, c’était un véritable blasphème.

Les Baye Fall ont également jugé le film «pornograph­ique» et amoral. En effet, outre des danses lascives et des scènes assez osées, touchant presque à l’érotisme, la caméra du réalisateu­r s’est attardée sur le corps du personnage principale, comme si l’objectif était une main caressant la peau de Karmen.

Mais en fait, qu’est-ce que «Karmen Geï» ? C’est «une Carmen noire, pétrie de culture africaine» puisque, même si Joseph Gaï Ramaka a gardé deux éléments majeurs du mythe de Carmen de Prosper Mérimée, à savoir la dimension tragique et l’importance de la musique et de la danse, les références culturelle­s espagnoles laissent place à celles africaines.

Pour le réalisateu­r «Karmen Geï» est «une Karmen black plongée dans l’univers carcéral des prisons de l’île de Gorée, héroïne rebelle filmée au coeur de l’urbanité magique et chaotique d’une ville africaine».

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