Le Temps (Tunisia)

La lutte en restaurati­on

Tourné en 1963, «Lamb», qui signifie lutte avec frappe en wolof, restaurée et en numérique. a été projeté lors des Journées cinématogr­aphiques dans sa version

- Zouhour HARBAOUI

«Lamb» est le troisième film documentai­re de Paulin Soumanouvi­eyra, un réalisateu­r béninois naturalisé sénégalais, considéré comme le précurseur du cinéma africain, bien que son fils cadet, Stéphane Vieyra, a préféré dire, avant la projection, l’un des pères fondateurs du cinéma africain pour ne pas froisser les Sénégalais et autres Africains présents dans la salle de cinéma, pour qui c’est Sembène Ousmane, le précurseur du cinéma africain. Pour notre part, nous allons couper la poire en deux : Paulin Soumanou Vieyra est le père des documentai­res africains et Sembène Ousmane le père des films de fiction africains. De toute manière, il n’y a pas d’enjeu puisque les deux ont oeuvré pour le cinéma africain. De plus, les deux hommes étaient amis ; Vieyra ayant, même, en 1963, aidé Sembène sur le premier court métrage de fiction de ce dernier«boromsarre­t».

C’est une version restaurée et numérisée qui a été projetée pour les Journées cinématogr­aphiques de Carthage. Il faut savoir que cette oeuvre de Paulin Soumanou Vieyra de 18 minutes avait été sélectionn­ée en compétitio­n court métrage en 1964 au festival de Cannes et que la version restaurée a été projetée, cette année,à Cannes Classic. Qu’est-ce que «Lamb» ? Un court métrage didactique sur la lutte sénégalais­e, sport national du pays de Senghor. Ce «lamb» est apprécié par toutes les couches sociales et cela se voit très bien dans le film, en partie grâce à un montage habile. En effet, le réalisateu­r a filmé des séquences dans un stade où l’on voit aussi bien des Français (rappelons que le Sénégal est devenu indépendan­t le 4 avril 1960), des hauts dignitaire­s, notamment religieux, et des gens du peuple en habits européens. A propos de cela, un passage du film nous a fait sourire : une jeune fille sénégalais­e dansant le mbalax (rythme musical) vêtue d’une robe «rock’n’roll». Paulin Soumanou Vieyra a également filmé des séquences dans un espace aménagé pour la lutte dans un quartier populaire. Tout au long du court, les spectateur­s passaient d’un espace à un autre, mais entrecoupé­s par des plans d’insert qui montrent que même si certaines personnes ne font pas le déplacemen­t au lieu de la rencontre, il n’en reste pas moins qu’ils écoutent cela à la radio. «Lamb» montre que la lutte n’est pas uniquement un sport, pour lequel certains font des paris (même des policiers), mais qu’il y a tout un cérémonial autour, avant, après et pendant. Il faut dire qu’au départ la lutte était une fête qui célébrait la fin des récoltes chez certaines ethnies sénégalais­es, à savoir les Sérères et les Diolas, ou une bonne pêche chez les Lébous (autre ethnie). Selon les spécialist­es, «cette joute, à caractère folkloriqu­e, avait pour but de mesurer la force des hommes et de désigner le champion du village». Cette lutte originelle est appelée lutte simple ou rurale. Il existe une autre sorte de lutte, découlant de la première, la lutte avec frappe qui est urbaine. C’est cette lutte avec frappe (c’est-à-dire avec l’autorisati­on d’utiliser des coups) qui est appelée «Lamb» et se passe exclusivem­ent en plein jour. «Lamb» montre tout le cérémonial de la lutte de l’entraîneme­nt à la victoire, en passant par le spectacle composé du «baccou», qui«consiste à chanter ses prouesses en vue d’intimider l’adversaire et de séduire son public en dansant au rythme du tam-tam. Les griots poussent les lutteurs à se surpasser en chantant leurs éloges». Il explique également les règles de la lutte dont le but est de faire tomber son partenaire. «Le premier qui met ses quatre appuis au sol, qui se couche sur le dos ou qui sort du cercle en tombant, est déclaré perdant par l’arbitre». La préparatio­n mystique est fondamenta­le dans la lutte sénégalais­e, des cérémonies sont faites pour conjurer le mauvais sort, les lutteurs se parent de leurs gris-gris, les «xoons», héritages de croyances animistes. Un sociologue sénégalais avait déclaré : «le Sénégal est composé à de 95% de musulmans, 5% de chrétiens et d’autres religions, mais aussi de 100% d’animistes!». La version restaurée et numérisée de «Lamb» donne une autre dimension à ce film. Comme nous a raconté Stéphane Vieyra, au sortir de la projection, un extrait de «Lamb» a été diffusé à la télé sénégalais­e et des téléspecta­teurs ont appelé la chaîne pour dire qu’ils avaient reconnu leurs parents. Cela n’aurait pas été le cas s’ils avaient la version non restaurée. Au-delà de cela, il est très important de restaurer les films anciens et de les numériser car ils sont le patrimoine cinématogr­aphique d’un pays et par là même d’un continent. Combien d’oeuvres ont été perdues par la faute des ravages du temps et de l’insoucianc­e des hommes ?

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