Le Temps (Tunisia)

Un couple qui en dit long

Traitement médiatique et violence

- Rym BENAROUS

Parce que son émission est l'une des plus regardées en Tunisie, Alaa Chebbi continue de souffler le chaud et le froid et de proposer du contenu qui affole les Tunisiens ou du moins une bonne partie d'entre eux.

Parce que son émission est l'une des plus regardées en Tunisie, Alaa Chebbi continue de souffler le chaud et le froid et de proposer du contenu qui affole les Tunisiens ou du moins une bonne partie d'entre eux. Parmi ses invités de la semaine dernière, un couple lambda qui a beaucoup fait parler de lui et pour cause. Il s'agit en fait d'une dame qui invitait son époux pour lui rendre hommage et le remercier d'être si gentil et prévenant envers elle.

Rien de bien extraordin­aire jusque-là si ce n'est que la reconnaiss­ance entre époux, membres de familles, collègues ou amis se fait de plus en plus rare de nos jours mais ce n'est certaineme­nt pas cela qui a fait réagir les Tunisiens avec tant de force, notamment sur les réseaux sociaux. Car même si nombreux sont ceux qui ont applaudi cette initiative et apprécié ce geste d'amour, d'autres ont sauté au plafond à cause de deux détails qui ne sont pas, force est de l'avouer, minimes.

D'abord, le couple, de par son apparence et son aspect vestimenta­ire. Elle, avec son large habit bouffant recouvrant l'ensemble de son corps et une bonne partie de son visage et lui, avec son qamis et sa longue barbe, ne peuvent que refléter une forte appartenan­ce à une idéologie religieuse rigoriste. Nombreux se sont en effet insurgés que ce couple soit invité à cette émission, affirmant que ce genre de passage télévisé ouvrait la porte à une islamisati­on rampante de la Tunisie et même que l'émission faisait «l'éloge du conservati­sme religieux aux standards de société datant du Moyen-âge». Or, si ces deux Tunisiens ne répondent pas forcément aux critères vestimenta­ires de la modernité et de l'époque actuelle, peut-on toutefois omettre le fait que de nombreux autres concitoyen­s, portés par leurs conviction­s religieuse­s, font partie, eux aussi, de la Tunisie ? Ils sont une composante de la société et il est difficile de faire comme s'ils n'existaient pas. Cela s'appellerai­t du déni.

L'idéal ne serait-il pas, au lieu de les discrimine­r et de les enfermer encore plus dans leur carré cloisonné en les montrant du doigt, attisant ainsi les rancoeurs, d'ouvrir la porte du dialogue et de montrer que la Tunisie appartient à tous, à condition qu'aucun de ses enfants ne

cherche à lui nuire ? Tant qu'ils respectent les lois, qu'ils respectent autrui et qu'ils se respectent entre eux, pourquoi les exclure ?

Oui mais voilà, c'est qu'au-delà des préjugés tenaces, l'émission télévisée de Alaa a contribué à ancrer, encore plus, l'idée que les «gens de religion» sont rétrograde­s et n'ont aucun respect par exemple pour la femme. Car ce couple «modèle», qui a fait fondre les coeurs «d'artichaut» de certains téléspecta­teurs à coup de déclaratio­ns d'amour et de gestes de bienveilla­nce, légitime la violence et le fait savoir ! En effet, la dame en question a raconté avoir été giflée par son mari et avoir reçu une sacrée raclée de la part de son père. Pire encore, elle affirme l'avoir bien mérité, persistant et signant que seule cette violence avait pu la calmer. Que dire quand une victime en arrive à justifier la violence qu'elle subit ? Que dire quand un animateur cafouille et bafouille avant de rappeler que la violence envers les femmes est intolérabl­e ? Que dire quand le public présent rit de bon coeur quand la dame affirme avec tout le sérieux du monde mériter les correction­s qu'elle a reçue et que son mari a le droit de la frapper, considéran­t qu'il a tous les droits sur elle ?

La Tunisie arrivera-t-elle un jour à bout de ce fléau qui gangrène la société et devant lequel les autorités semblent impuissant­es puisqu'il ne s'agit pas seulement de cas isolé mais d'un phénomène très répandu, toutes classes sociales confondues, ancré dans les mentalités et justifié par de très nombreux Tunisiens ? Seul l'avenir le dira mais en attendant, les Alaa et autres créateurs de buzz médiatique­s continuero­nt de proposer de tels contenu qui banalisent la violence et justifie l'injustifia­ble...

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