Menaces sur le jeune jasmin !
« Mawaïid» (Echéances), d’emna Ben Mustafa Kherriji **
C’est le quatrième recueil de nouvelles publié par Emna Ben Mustafa Kherriji qui ne déroge pas à ses réflexes scripturaux à valeur de choix esthétiques et éthiques: écrire bref, et sonder le réel sous l’angle croisé de la dérision et de l’amertume.
L’écrivaine s‘attaque de nouveau aux travers d’une société traître à ses valeurs de partage, de solidarité et de tolérance. Dans Mawaïid, elle procède comme à son habitude par des instantanés puisés dans le quotidien du plus commun des individus pour en dégager la portée désastreuse ou salutaire pour tous ses semblables. Le recueil aborde, dans une langue simple et agréable à lire, la complexité des réalités nouvelles qui conduisent les hommes et les femmes d’aujourd’hui, en Tunisie et partout ailleurs, à renoncer aux principes fondamentaux favorables à un vivreensemble vital pour la survie de l’espèce et la pérennité des structures sociales ou autres au sein desquelles celle-ci évolue. « Mawaïid » dénonce ainsi tout ce qui contrarie l’espoir d’un monde sans discrimination, sans volonté d’hégémonie, sans manipulation, sans mensonge ni hypocrisie, sans corruption et sans misère ; c’est-à-dire tout ce qui entrave la réalisation du grand rêve humanitaire qu’un certain 14 janvier 2011 avait autorisé et que plusieurs révolutions antérieures avaient promis de concrétiser. Le ton est, hélas, amer et la plume d’emna Ben Mustafa Kherriji trahit les désenchantements de cette dernière pour qui seuls le regard distant et l’ironie dirigée contre l’autre, et contre soi en l’autre, permettent encore d’atténuer les effets lancinants de la désillusion. Le recueil s’achève en effet sur l’évocation d’un jeune jasmin que tout l’entourage menace dans son éclosion et dans son épanouissement. C’est un finale en mode mineur qui néanmoins ne ferme pas toutes les portes par où des rayons d’espoir pourraient s’infiltrer.
Emna Ben Mustafa Kherriji a déjà publié les recueils « Serrou Khadija » (Le secret de Khadija) en 2008, « La ghaliba illa el hobb » (L’amour triomphera de tout) en 2009, « Min ajli essalem » (Pour faire régner la paix) en 2010, « Leilat errahil » (La nuit du départ), en 2012, et un opuscule de critique littéraire sur «May Ziada, féministe encore et toujours », en 2014.
Badreddine BEN HENDA ** « Mawaïid, et autres nouvelles », d’emna Ben Mustafa Kherriji, Tunis, Edition Latrach, novembre 2018, prix public : 10 d.